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pages qui sont les plus intéressantes de son livre. Cette idylle de la théosophie appartient bien au sujet de cette étude. La voici en abrégé : on y verra, pris sur le vif, le portrait d’une païenne savante dans les mystères sacrés et douée de la puissance prophétique sous le règne de l’empereur Constance.

Sosipatra épousa Eustathe, l’un des successeurs de Jamblique, et sa gloire surpassa celle de son mari jusqu’à l’éclipser. Elle naquit en Asie, près d’Éphèse, dans ces contrées que baigne le Caystre et auxquelles il laisse son nom. Sa famille était opulente. Dès son enfance, Sosipatra répandait le bonheur autour d’elle par l’éclat de sa beauté naissante et par sa grâce modeste. Elle venait d’avoir cinq ans lorsque deux vieillards, vêtus de peaux de bêtes et la besace sur l’épaule, se présentèrent chez son père, à la campagne, et surent persuader au fermier de leur abandonner la culture de la vigne du maître. A l’automne, la vendange fut abondante au-delà de toute espérance ; cela tenait du prodige et fit croire à l’intervention de quelque divinité. Témoin de ce miracle, le père de Sosipatra admit les vieillards à sa table ; il les traita magnifiquement. « Ce ne sont pas mes fermiers, disait-il, qui auraient obtenu une si merveilleuse récolte. » Cependant les étrangers étaient frappés de la beauté de la jeune enfant et de sa distinction exquise. « Nous possédons, dirent-ils à son père, une science mystérieuse qu’il nous convient de tenir cachée. Cette vendange miraculeuse n’est qu’un jeu facile de notre puissance. Tu nous en as trop récompensés par ta généreuse hospitalité. C’est nous qui sommes tes obligés, et, si tu y consens, nous acquitterons notre dette, non pas en argent, mais en élevant jusqu’au ciel la gloire de ta maison. Confie-nous Sosipatra : nous serons pour elle, pendant cinq ans, des instituteurs et des parens pleins de tendresse. Ne crains rien ; seulement garde-toi, pendant ce temps, de mettre le pied dans tes domaines. Sans toi, la terre s’y couvrira comme d’elle-même de fruits et de moissons. Si tu es sage, tu accepteras notre proposition avec une pieuse gratitude ; si tu nous soupçonnes, tiens que nous n’avons rien dit. » Le père consent et s’éloigne. Cinq ans après, il revient. O prodige ! il reconnaît à peine son enfant ; il s’incline avec respect devant cette beauté accomplie et majestueuse. « Demandez-moi, dit-elle, mon père, ce qui vous est arrivé dans le cours de votre voyage. » Et aussitôt elle lui raconte de point en point tous les incidens de la route qu’il avait parcourue, comme si elle l’eût accompagné assise à ses côtés sur son char. Saisi d’admiration, le père croyait entendre une déesse. « Gardez ma fille, s’écrie-t-il en se jetant aux pieds des vieillards ; gardez-la et achevez de l’instruire dans les choses divines, » car il les prenait pour des dieux. Le lendemain, les deux personnages mystérieux avaient disparu, après avoir remis à