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il immole des bœufs et demande aux entrailles des victimes des nouvelles de ses amis absens. Maître du monde, il se fait grand-pontife. Il s’imagine qu’il lui suffira de vouloir pour que l’hellénisme, comme il l’appelle, refleurisse soudain. Il s’étonne que les temples ne s’emplissent pas, que les victimes n’y abondent pas à son ordre. Il est si assuré du triomphe de ses idées, qu’il débute par la douceur et par la tolérance. Les vives résistances des chrétiens, leurs révoltes, leurs railleries ne tardent pas à l’irriter et à le rendre injuste et cruel ; mais elles ne l’éclairent pas. Il ne voit rien, ne comprend rien ; il ne s’aperçoit pas que le monde autour de lui se métamorphose. L’admirable fécondité de l’hellénisme, sa longue durée lui en voilent la décadence ou plutôt la caducité, et, quoique philosophe et très hérétique, il meurt païen sincère, trompé jusqu’à la dernière heure par son amour pour le monde antique, qu’il avait, non sans raison, identifié avec le paganisme, et qui était condamné à disparaître avec son culte et ses dieux.

Julien mourut vingt mois après son avènement au trône. Eût-il régné un demi-siècle, il n’aurait pu ranimer le polythéisme. La vieille religion de la petite cité grecque, même purgée de certains rites obscènes qui avaient persisté, même élargie démesurément et accrue de toutes les superstitions de la théurgie orientale, était trop étroite pour le nouvel univers. Une réaction inévitable dispersa les maîtres de l’école de Pergame, qui avaient été les instituteurs, les amis ou les coopérateurs de Julien. Les philosophes furent contraints de cacher leurs mystères ; mais, vaincus sur le terrain de la politique et des faits, ils se réfugièrent dans le sanctuaire des études et des idées, d’où ils n’auraient pas dû sortir. De là naquit une dernière et forte école philosophique, l’école d’Athènes, qui a su, dans ces temps agités, honorer encore le génie grec et l’esprit humain. Voyons comment cette famille d’intelligences remarquables essaya de tirer de la religion grecque des vérités qu’elle ne contenait pas toujours, comment elle acheva d’autre part de la discréditer en affaiblissant le vrai théisme et en exagérant au contraire le nombre et l’importance des pratiques superstitieuses.

Entre les hommes dont Eunape a raconté la vie et ceux qui les ont suivis, la différence est très sensible. Les maîtres de l’école de Pergame étaient des rhéteurs et des thaumaturges plutôt que des philosophes ; les maîtres de l’école d’Athènes ont l’instinct des problèmes fondamentaux, et les plus distingués d’entre eux sont des métaphysiciens. On est surpris cependant et de leurs habitudes superstitieuses et de l’importance extraordinaire qu’ils attachent à la mythologie. Cette contradiction était la conséquence nécessaire non pas certes de la métaphysique elle-même, qui exclut la superstition, mais de la métaphysique fausse du néoplatonisme, qui la rend