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l’inconnu, s’il lui avait suffi de maudire les persécuteurs qui ont mutilé la nation, que pourrait-on lui répondre ? Je signale les dernières pages du sixième livre comme le complément naturel des réflexions si hautes que je viens d’emprunter à M. Saint-Marc Girardin. Si le XVIIIe siècle a dû accomplir sa tâche au milieu des frivolités de l’ancien monde, est-ce bien nous qu’il faut accuser ? « Notre France, façonnée pour le plaisir d’un seul, n’a pas toujours été ainsi. Nous pouvons montrer nos plaies, nos membres amputés. La Providence nous avait fait complets comme toutes ses œuvres ; il y avait chez nous un juste équilibre de gravité et de légèreté, de fond et de formes, de réalité et d’apparence. Est-ce notre faute si la violence barbare nous a ôté le lest ?… Que n’eût été la France, si avec l’éclat de son génie elle se fût maintenue entière, je veux dire, si à cette splendeur elle eût joint la force de caractère, la vigueur d’âme, l’indomptable ténacité de cette partie de la nation qui avait été retrempée par la réforme ! Calvin, Bossuet, Voltaire, quelle puissance que ces trois forces rivales en présence ! » Excellentes paroles, à mon avis. Ce n’est pas seulement une plainte virile et fière, ce n’est pas seulement une justification de cette France que l’auteur juge souvent avec une sévérité si âpre, c’est aussi un programme pour l’avenir. Dilatamini ! disait Fénelon quand il condamnait la religion étroite et pusillanime de ses deux amis les ducs de Chevreuse et de Beauvilliers. C’est aussi le cri du monde moderne : dilatamini ! déployez toutes vos forces ! Il est évident que M. Edgar Quinet, dans cette révolution idéale qu’il recommence par l’imagination et le cœur afin de la juger de haut, jette ce même appel à toutes les libres forces du pays : Calvin, Bossuet, Voltaire, force et grâce, conscience et génie, vivez, croissez, déployez-vous ensemble, cherchez votre équilibre dans l’antagonisme harmonieux et non dans la suppression des contraires, craignez la fausse unité qui recouvre la mort, formez une France complète comme Dieu l’a voulu, et puisque l’heure de la grande transformation sociale a sonné, puisque la démocratie doit enfin remplacer les iniquités de l’ancien monde, si vous désirez que cette démocratie ne soit pas à son tour un foyer d’iniquités, si vous souhaitez qu’elle soit libérale, humaine, amie des choses de l’âme, respectueuse de tous les droits, faites que la religion préside à la révolution française !

Rien de mieux ; mais à ces conseils, à ces objurgations, à ces commandemens, qui reparaissent sous toutes les formes et à tout propos dans le manifeste de M. Quinet, il est impossible de ne pas opposer toujours une même réponse : où est-elle, ô poète, cette religion ? Si ce n’est pas le christianisme dégagé des passions qui