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débrouillé ces idées avec l’autorité de son caractère et de son génie. Sans cette perpétuelle confusion entre le christianisme avili et le christianisme pur, son livre, plein de sublimes éclairs, aurait jeté une lumière bien autrement féconde. Nul n’était mieux préparé que lui à dégager les vérités contradictoires en apparence et à les réunir en faisceau. Par l’élévation de sa pensée idéaliste comme par son dévouement aux principes de la raison moderne, il est en mesure d’embrasser tous les élémens du problème dont les meilleurs esprits, hélas ! ne considèrent qu’un seul aspect. Les âmes timidement religieuses ont la révolution en horreur, ne voyant pas que la révolution, dans tout ce qu’elle a fait de durable, a été l’accomplissement des vérités sociales révélées par l’Évangile ; les esprits sèchement révolutionnaires se défient du christianisme, s’obstinant à confondre la lumière avec les institutions et les hommes qui l’ont obscurcie pendant toute une suite de siècles. Sommes-nous donc condamnés, peuples de race latine, à voir se perpétuer sans fin ce divorce fatal ? Combien nous faudra-t-il encore de leçons pour être affranchis de ces préjugés qui entravent la grande affaire du XIXe siècle, l’éducation libérale de la démocratie ?

Une de ces leçons, une des meilleures assurément, et voilà pourquoi nous saluons avec joie l’apparition du livre de M. Edgar Quinet, c’est la critique impitoyable qu’il a osé faire de la terreur au nom du sentiment religieux, sans se soucier des colères qu’il devait soulever. Après les rectifications que nous venons de soumettre au lecteur, il n’y a plus qu’à louer cette étude magistrale. Que la révolution, provoquée, désespérée, ait répondu à la coalition des rois de l’Europe par des éclats de fureur, c’était une explosion inévitable. L’humanité en souffre ; la révolution en est-elle atteinte en son principe même ? Non certes, pas plus qu’une juste guerre n’est déshonorée par les emportemens de la bataille ; mais qu’un petit nombre d’hommes ait entrepris de maintenir tout un peuple à cet état d’exaltation, que froidement et impassiblement ils aient converti en règles la furie gauloise, que l’indignation, la crainte, la frénésie, passions des heures brûlantes, soient devenues entre leurs mains un calcul, un système, un instrument de règne et de salut, voilà le crime qui a souillé pour longtemps la meilleure des causes. On n’avait pas encore disséqué le monstre comme le fait ici M. Quinet. La conception du terrorisme est exposée à tous les regards. Voyez-vous « cette mer déchaînée et changée tout à coup en une mer d’airain immobile, ce vertige de certaines journées devenu le tempérament fixe et l’âme de la révolution ! » Les causes nombreuses auxquelles le pénétrant analyste rapporte ce phénomène effroyable peuvent se réduire à une seule : le mépris de l’individu.