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de temps, quelques jours, quelques semaines peut-être. Ce refuge et ce répit ne sont-ils point des ressources providentielles ? N’y a-t-il pas dans les cours, dans les cabinets, dans les parlemens, dans les peuples, assez d’hommes de bon sens, de bonne volonté, de cœur viril, pour sauver du naufrage, avec la paix de l’Europe, des milliers d’innocentes vies humaines et l’honneur, le laborieux repos, la prospérité des nations contemporaines ?

Si faible qu’elle soit, cette espérance existe, et il serait lâche d’y renoncer sans lutte. Nous avons eu déjà des maux de la guerre, dans les désastres financiers qui se généralisent en Europe, un affreux avant-goût bien fait pour ébranler les plus inertes. Les procédures acceptées par les états qui paraissaient les plus impatiens de se battre offrent d’ailleurs des encouragemens positifs à ceux qui ne voudraient pas désespérer de la paix.

La guerre a fait sentir cette fois de la façon la plus dure ses maux avant-coureurs aux peuples européens. Le carnage des valeurs et des capitaux qui sont le travail accumulé de notre génération a précédé la destruction des batailles. L’Italie, l’Autriche, la Prusse elle-même, ont inauguré la période militaire par des proclamations de détresse. C’est une curieuse veillée des armes. L’Italie et l’Autriche se sont hâtées de demander à leurs banques des centaines de millions, en donnant aux billets de ces banques le cours forcé. De tels emprunts sont des emprunts forcés qui déprécient le papier instrument d’échange, et soumettent à une spoliation obligatoire non-seulement la rente du riche, mais le salaire du pauvre, et l’accroissement parallèle de la dépréciation du papier-monnaie et de la spoliation subie par la richesse nationale ne peut s’arrêter qu’avec la fin et suivant la fortune de la guerre. Les fonds italiens et les fonds autrichiens ont été frappés d’un avilissement incroyable, et dès le début ces deux états voient tarir absolument pour eux les ressources régulières du crédit. La Prusse avait de meilleures finances ; mais chez elle aussi le crédit se resserre avec violence. Les banques sont forcées d’élever l’escompte à un taux insolite ; l’or s’achète à Berlin à une grosse prime ; le roi de Prusse, non par une application libérale des principes économiques, mais en prévoyance des lourdes redevances qu’il faudra payer aux prêteurs, suspend pour un an les lois sur l’usure. D’ailleurs, pour satisfaire ses prétentions, pour avoir une grande armée, pour se faire aussi grosse que le bœuf, la cour de Berlin n’enlève pas seulement, à la Prusse ses capitaux, elle lui arrache sa main d’œuvre : pour remplir ses camps, elle fait le vide dans les comptoirs et dans les usines. On ne sait que trop ce que déjà coûte à la France la menace d’une guerre à laquelle nous devions, disait-on, demeurer étrangers ; la dépréciation éprouvée par le capital français depuis les bruits de guerre se chiffre par des milliards, sans parler du découragement ruineux que ces perspectives incertaines et troublées ont répandu dans notre commerce et notre