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bataille, pour entendre chanter le rossignol des bois, il eût donné toutes les profanes délices dont on l’enguirlandait. À cette lassitude nostalgique se joignait désormais le sentiment de sa lâche défaite, il se reprochait ses devoirs de chrétien méconnus. Enfin, n’y tenant plus, il supplia la déesse de le laisser partir, mais elle refusa d’y consentir ; ce que voyant Tannhäuser, il implora l’aide de la sainte Vierge, et par une fente du rocher s’échappa. Quant à l’absolution, aucun prêtre n’osa la lui donner. Force fut à l’infortuné chevalier de s’acheminer en pèlerinage vers Rome. Inutile résipiscence ! Aux premiers mots du pénitent, le pape entra dans une sainte indignation, et le repoussant avec horreur : « Quand ce bâton, s’écria-t-il, que tu vois desséché dans ma main, reverdira et portera des fleurs, alors seulement, et non pas avant, ton crime te sera remis ! » Tannhäuser, ainsi réduit au désespoir, quitta la ville, se disant : « Puisque notre Seigneur Jésus-Christ et sa divine mère me repoussent, retournons vers dame Vénus, et près d’elle installons-nous pour l’éternité. » Il revint donc, et son arrivée au Venusberg fut accueillie par des transports de joie et de tendresse. Cependant à Rome un miracle s’était accompli : le troisième jour après l’anathème prononcé, le bâton avait reverdi. Des messagers furent lancés de toutes parts sur la trace du chevalier franconien. Il n’était plus temps, car Tannhäuser avait déjà et à jamais franchi le seuil du Venusberg. Nempe Urbanus papa in causa fuit, ut in Veneris montem et lupanaria in quibus voluntatus erat Tanhuser redierit œternum pereundus. Ainsi s’exprime la chronique, attribuant l’éternelle damnation du chevalier à la fougue irascible du pape Urbain IV, trop pressé peut-être de saisir aux cheveux l’occasion qui s’offrait à lui de frapper à la fois dans Tannhäuser et le chrétien apostat et l’homme de guerre engagé sous le drapeau, des Hohenstaufen.

Nulle part au pays du Rhin la légende ne fleurit davantage ; vous y voyez les dieux et les déesses de la tradition germanique se transformer en gnomes, en sorcières, s’évanouir en fumée de spectres. Le paganisme et le christianisme s’amalgament ; d’autres fois ce sont les propres textes de la Bible qu’on vous donne traduits librement en patois de Thuringe. Et vous arrivez ainsi par la plus ravissante contrée, à travers mille ruines que l’histoire et la poésie festonnent, jusqu’à la Wartbourg, couronnement du paysage.


II

A l’heure qu’il est, grâce aux soins du grand-duc Charles-Alexandre de Saxe-Weimar, le vieux château se redresse