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qu’on négligerait pour son talent, n’a qu’à parler avec audace de son génie, de son art, pour qu’on l’écoute, le discute. À cheval sur la situation exceptionnelle et compliquée qu’il s’est faite, ne pouvant s’en faire une simple, il s’escrime en prose, en vers, argue, pourfend, tempête et secoue sur les têtes en quantité les insipides fruits de l’arbre de la théorie. Voyons ces fruits. On vous dit : « Vous dédaignez mes chefs-d’œuvre, vous poussez l’impertinence jusqu’à témoigner que vous préférez l’Euryanthe de Weber au Tannhäuser, jusqu’à déclarer publiquement ma symphonie-poème de Tristan et Iseult la plus absurde des inventions ; mais moi je vous récuse, tous tant que vous êtes, comme incapables d’avoir une opinion sur ce sujet, et j’en appelle à l’avenir, à qui seul je reconnais le droit de prononcer. » S’adresser à l’avenir est toujours une chose commode, et il n’en coûte rien à un auteur de proclamer des vérités qui du moins ont cet avantage, de ne pouvoir être contredites par l’expérience. L’art véritable n’a point de ces prétentions capitoliennes. J’admets que le récitatif soit de toutes les formes musicales la plus immédiate, celle qui accentue le mieux chaque partie du discours, qui serre de plus près l’expression non pas d’un sentiment, mais d’une phrase, mais d’un mot. Conclura-t-on de là que le récitatif soit le dernier terme de la musique ? S’il en pouvait être ainsi, la musique aurait abdiqué toute action individuelle, et de maîtresse deviendrait esclave. Gluck, qu’on a la manie d’invoquer toujours dans cette cause, et qui, s’il vivait, en serait l’adversaire le plus violent, Gluck, bien loin d’abonder dans cette négation de la forme musicale, a passé son temps à réagir contre, et c’est en abondant du côté des vieux maîtres italiens que ce précurseur des prétendus messies de l’avenir poursuivait sa recherche de la vérité dramatique. À Lully bien plus qu’à l’auteur d’Iphigénie en Tauride, tout ce faux système se rattache. Étrange manière, on l’avouera, de préconiser le progrès que de sauter par-dessus la tête à Mozart et à Gluck pour aller, à deux cents ans de distance, emprunter les recettes de son art à l’auteur de la tragédie d’Alceste mise en musique. Et pourtant cette religion a des croyans, et dans le nombre un jeune prince dont il serait au moins difficile de mettre en doute la bonne foi !

Je me suis souvent demandé, comme bien des gens, quelle raison pouvait ainsi porter le roi de Bavière vers une cause musicalement perdue, qui, en France, n’a jamais su se faire prendre au sérieux, et que l’Allemagne ne discute que par suite de cette habitude qu’elle a de discuter imperturbablement toutes les erreurs qu’on lui propose. Cette raison, je crois l’avoir trouvée en dehors de la question musicale et dans une illusion d’ailleurs fort naturelle chez un