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LES SEPT CROIX-DE-VIE.

cour intérieure en traversant les parterres qui bordaient le pied du château ; mais à peine avaient-ils fait cent pas que la marquise s’arrêta. — Mon cher enfant, dit-elle à demi-voix, les murs de la chapelle vont s’étonner de vous revoir. Est-ce que je ne sais pas bien que vous ne priez plus ?

— Cela est vrai, murmura-t-il.

— Hélas ! j’en suis bien fâchée, reprit la marquise ; mais ce sont là des choses sur lesquelles on ne dispute point. Seulement je vous préviens que l’abbé va prêcher.

Et comme il se taisait : — Ce n’est pas tout, dit-elle, j’admire qu’ayant perdu la foi aux prières, vous ayez gardé l’amour des sermons.

— Vraiment, ma mère, répliqua le marquis, préférez-vous la promenade aux exhortations pieuses de mon cousin ?

— Oh ! s’écria-t-elle, qui vous fait croire cela ? C’est tirer votre conclusion bien vite. Une promenade avec vous, mon cher Martel, vaut tous les sermons du monde, j’en conviens. Si c’est une impiété que je dis là, que Dieu me la pardonne ! Mais, par exemple, s’il fallait choisir entre mes promenades ordinaires du soir avec M. de Lescalopier, mon voisin, ou bien une homélie de mon neveu de Gourio dans la chapelle, je choisirais peut-être l’homélie.

— Et pourtant vous avez bien de la complaisance pour M. Lescalopier, ma mère, et bien peu pour mon cousin.

— Eh ! repartit Mme de Croix-de-Vie, je vais vous reprocher justement la disposition contraire. Vous n’aimez pas notre voisin de Bochardière, oh ! pas du tout ; mais, grand Dieu ! que vous avez d’indulgence pour l’abbé, mon cher Martel !

— Je l’avoue, dit le marquis. J’envie René bien plus encore que je ne l’aime. Son âme…

— Est comme une eau qui dort, interrompit en riant la marquise.

— Pourquoi n’aurait-il pas la paix intérieure ? dit le marquis de sa voix profonde. Il a choisi l’état qui la donne. Il a mis son cœur entre les mains d’un Dieu auquel il peut croire, lui, sans lâcheté. Jamais il n’a trouvé ce Dieu aveugle et sourd. Il n’est point de ceux à qui l’honneur défend de demander plus longtemps justice. Les Gourio ont une histoire qu’ils peuvent relire sans que la raison leur manque et sans qu’une suite de fantômes… Il se tut, il avait senti la main de la marquise se crisper autour de son bras. — Ma mère…, dit-il.

Elle ne répondit point. Alors il se laissa glisser à genoux devant elle, il saisit le bord de sa robe et la baisa. — Ma mère, balbutia-t-il, cette fois encore pardonnez-moi !

— Que faites-vous, Martel ? dit la douairière avec un sourire qui