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REVUE DES DEUX MONDES.

— Ma mère, s’écria le marquis, je vous demande sérieusement de me relever pour demain de ma promesse. Vous me permettrez de demeurer chez moi.

— Point du tout. Martel, je vous le défends. Vous renfermer, vous cacher quand un rayon de jeunesse va éclairer la maison ! Qui sait si cette demoiselle Violante n’est pas gaie comme le printemps ? Elle est belle, et j’imagine qu’elle ne vous fait pas peur… Mais vous ne voulez donc point me répondre ? Vous souvient-il de l’avoir vue ?

— Je l’ai vue, dit-il d’une voix altérée, aujourd’hui même.

— Mais j’y pense : vous avez dû passer ce matin devant le manoir ?…

Et la vaillante, frivole et incorrigible douairière, se représentant Violante à la fenêtre de la fameuse tour réédifiée par son bon ami Bochardière tandis que le marquis de Croix-de-Vie passait sur la route, se mit à rire aux éclats. Martel avait retiré sa main d’entre les siennes. — J’ai besoin de repos, madame, lui dit-il, et je désire rentrer.


IX.

Violante était à Croix-de-Vie. Elle sortait de la chapelle. Elle passa sous le grand porche, qui faisait communiquer la cour intérieure avec les jardins, et jeta devant elle un regard étrangement allumé par tant de pensées diverses qui se heurtaient dans son esprit depuis qu’elle se voyait dans ce château. Son père, dès la fin de la matinée, l’avait pressée de quitter Bochardière ; il voulait arriver à Croix-de-Vie avant l’heure où la marquise sortirait de son appartement ; il était soucieux depuis le matin, et, mettant pied à terre dans la cour du château, il avait envoyé quérir Chesnel. Alors il avait prié sa fille d’entrer dans la chapelle, en promettant qu’il viendrait la chercher dans un moment. Impatienté d’attendre le valet, il s’était mis lui-même à sa recherche, et Violante, lasse de voir le temps s’écouler, avait fait quelques pas hors de sa retraite et gagné l’entrée des jardins. D’abord elle y demeura immobile ; ce pli de menaçant augure qui faisait le tourment de M. de Bochardière se dessinait sur son front. — Pourquoi suis-je ici ? se demandait-elle.

Elle y était par un acte de sa volonté, par une libre résolution qui ne venait bien que d’elle-même. La veille, après avoir, de sa cachette, surpris M. de Croix-de-Vie sur le petit calvaire, rentrant au manoir à la nuit tombée, elle était allée trouver son père. Il se promenait dans les charmilles en compagnie de son ambition trompée, qui lui tenait un amer langage. — Mon père, avait dit Violante, M. de Croix-de-Vie connaît-il les projets que vous et Mme la marquise aviez formés sur moi ?