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LES SEPT CROIX-DE-VIE.

— Je vous jure, madame la marquise…

— Vous jurez. Elle aurait pris ce grand air dans la seule nature ! C’est une merveille ! Oh ! voilà qui donne raison aux théories d’à présent.

Elle allait ajouter : — À quoi donc sert la naissance, puisque l’héritière d’un Lescalopier peut être tournée de cette noble façon-là ?

— Par bonheur, elle retint cette réflexion au bord de ses lèvres.

— Les théories d’à présent ne sauraient jamais avoir raison, dit Lescalopier.

— Votre fille est charmante, reprit la marquise d’un air rêveur ; mais on ne fait pas son petit chemin avec elle, je vous en préviens. Mon pauvre Lescalopier, cette première rencontre n’a pas été heureuse. Oh ! je suis battue, bien battue

— Mon cousin, disait l’abbé de Gourio à M. de Croix-de-Vie, ne voulez-vous pas que nous avancions un peu ? Le marquis fit un geste d’impatience.

— Il me semble, reprit timidement l’abbé, que ce ne serait que de la courtoisie.

— Dites de la charité, riposta brusquement Martel. On a imaginé contre cette jeune fille un complot dont il serait généreux peut-être de l’avertir… si toutefois elle ne le connaît point.

— Quel complot ? balbutia l’abbé.

— Celui de la faire marquise de Croix-de-Vie. Allons entretenir Mlle de Bochardière, puisque vous le voulez. Et passez devant, je vous prie, vous avez de quoi vous défendre contre les enchantemens et les sortilèges ; moi qui ne porte pas votre robe, si j’allais m’y laisser prendre !…

— Mon cousin, fit doucement observer l’abbé, vous ne raillez point d’ordinaire…

— C’est, interrompit le marquis, que je n’en ai pas ordinairement de si beau sujet. Que ne donnerais-je pas pour entendre les confidences qui s’échangent là-bas entre ma mère et M. de Lescalopier, cet habile homme ! Ma pauvre mère ne saurait deviner le véritable calcul de son bon voisin. Ne pensez-vous pas, René, que M. de Lescalopier connaît à fond notre histoire, puisqu’il nous fait, dit-on, l’honneur de l’écrire ?

— Je le pense, dit l’abbé.

— Oh ! il n’a point d’illusions, lui. Un pareil homme n’en a d’aucune sorte. Je vous dis, René, qu’il voit déjà dans ses rêves deux douairières à Croix-de-Vie…

— Martel ! murmura M. de Gourio.

— Une douairière de vingt-cinq ans, dont il sera le père et, qui sait ? un marquis de Croix-de-Vie dont il serait l’aïeul. Voilà qui