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bornant pas à bénir les petits enfans, mais les prenant dans ses bras pour les presser contre son cœur[1], montrant enfin à l’humanité ce que notre nature peut renfermer de divinité tout en restant humaine.

Ne terminons pas sans faire ressortir cette vérité consolante et encourageante, que plus la critique remonte vers les origines extrêmes du christianisme, plus la nature essentiellement morale et par conséquent tolérante quant au dogme de la religion de Jésus se révèle aux regards de l’observateur attentif. Que l’on prenne les « sentences » de Matthieu, ou le Proto-Marc, ou la tradition jérusalémite enregistrée par Luc, tous sont d’accord sur ce point. Le royaume de Dieu ne consiste ni dans la profession du dogme ni dans l’accomplissement du rite. Le dogme peut être vrai, et il faut tâcher de le posséder vrai : le rite peut être édifiant, et rien de plus légitime que d’en nourrir sa piété, si l’on peut s’y soumettre sincèrement ; mais enfin, selon Jésus, l’essentiel n’est pas là. Il n’est ni à l’autel du sacrifice, ni à l’école des scribes, ni dans l’absolution donnée par Caïphe. Il est dans la pureté du désir, dans la noblesse de l’effort, dans l’amour de Dieu et dans sa conséquence, sa seule preuve réelle, l’amour des hommes. Se rappelle-t-on la belle description des grandes assises où le Fils de l’homme dans sa gloire juge l’humanité convoquée devant lui ? Elle clôt le recueil des « sentences » de l’apôtre Matthieu. Quels sont ceux qui passent à la droite du juge ? Ceux qui ont beaucoup cru de dogmes, ou beaucoup accompli de cérémonies, ou qui ont passé leur vie à lui dire : Seigneur ! Seigneur ? Non pas ; ce sont ceux-là seulement qui ont aimé beaucoup, compati beaucoup, sacrifié beaucoup, et tous ceux-là aussi, lors même qu’ils n’ont pas connu celui qui devait un jour les juger. Ah ! s’il est une chose qui justifie les penseurs modernes désirant rester et se dire chrétiens, c’est bien de voir que le vrai christianisme est plus vaste que toutes les églises et que toutes les autres religions historiques, puisque, dans la pensée de son fondateur, il consiste essentiellement dans ce qui, en tous lieux, en tout temps, sous toutes les formes, a marqué la piété sincère et la religion que la conscience approuve. Et ce n’est pas une des moindres marques de la divinité de l’Évangile que, sur bien des points, il ait fallu dix-huit siècles à l’élite de l’humanité pour qu’elle comprît la portée réelle des pensées émises par le charpentier de Nazareth.


ALBERT REVILLE.

  1. Ce trait est de Marc, X, 16.