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de genre que voici : « Reste Mme Dubarry, dont je ne vous ai jamais parlé. Je me suis tenue devant la faiblesse avec toute la réserve que vous m’aviez recommandée… Elle a une cour assidue, les ambassadeurs y vont… J’ai, sans faire semblant d’écouter, entendu dire sur cette cour des choses curieuses : on fait foule chez elle comme chez une princesse ; elle fait cercle, on se précipite, et elle dit un petit mot à chacun. Elle règne. Il pleut dans le moment où je vous écris, c’est probablement qu’elle l’aura permis. Au fond, ce n’est point une méchante femme, c’est plutôt une bonne personne… » Ainsi parle la dauphine suivant la correspondance apocryphe ; vit-on jamais contradiction morale plus flagrante et conciliation plus impossible ? Qui préférera-t-on après cela, puisqu’il faut absolument choisir ? La Marie-Antoinette bel esprit, celle qui ne veut pas renoncer au plaisir de tracer un portrait agréable, et qui, pour ne causer de peine à personne, pas même aux lecteurs et lectrices de notre temps, se montre indulgente et toute bonne, ou bien cette fière petite dauphine de quinze ans, qui ne veut pas s’incliner devant le scandale de la maîtresse en titre, et tient tête sur cet article, trois années durant, à une mère telle que Marie-Thérèse !

Ce n’est pas à dire que la reine ait manqué de qualités affectueuses ; elle avait au contraire un continuel désir d’intimité et de familiarité. Aussi lui cherche-t-on d’autres amitiés que celle de sa mère, avec qui les relations de correspondance ne pouvaient s’établir sur un pied assez égal. N’avait-elle pas apporté de Vienne le secours de quelque étroite amitié d’enfance qui lui ouvrît un cœur, un cœur de femme et de sœur, par exemple, auquel elle pût demander au besoin la consolation et l’appui des plus intimes confidences ? La tentation était forte pour les fabricateurs de lettres : ils y ont cédé[1] ; mais le choix qu’ils ont fait d’une des sœurs de Marie-Antoinette s’est trouvé des plus malheureux, car cette « chérissime sœur, » cette « sœur adorée, » comme ils disent, âgée de treize ans de plus que la reine, lui inspirait en réalité fort peu de confiance ou même lui était presque antipathique : Marie-Antoinette la tenait pour jalouse et médisante à son endroit, et lui attribuait volontiers quelques-uns des mauvais propos qui couraient sur son compte à Vienne. Elles s’étaient très rarement écrit avant le voyage que cette Marie-Christine, devenue gouvernante des Pays-Bas, fit en France pendant l’année 1786. Les papiers de Vermond, récemment publiés par M. d’Arneth, nous ont apporté sur ce sujet de nouvelles et curieuses preuves à ajouter à celles qu’on avait déjà. La reine avait-elle

  1. Nous croyons qu’on ne peut admettre comme authentique, parmi les lettres à Marie-Christine publiées dans les deux ouvrages de MM. d’Hunolstein et Feuillet de Conches, que celle du 29 mai 1790, donnée par ce dernier.