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n’était donc pas lui qui pouvait mettre un terme à la situation dont on gémissait. Un si grand service vint seulement de Joseph II, frère de Marie-Antoinette. Son voyage à Paris en 1777 lui donna occasion de faire accepter et de la reine et du roi d’intimes avis qui amenèrent une heureuse transformation. Marie-Antoinette, privée jusqu’alors de ce qui pouvait affermir son crédit et assurer sa dignité d’épouse et de reine, s’était laissé entraîner sur une pente dangereuse. Mère d’un dauphin, elle se retrouvera elle-même, et le bonheur paraîtra lui sourire pendant quelques années.

C’est une intéressante figure que celle de ce Joseph II et une des moins connues encore dans l’histoire si mêlée du XVIIIe siècle. Il y a quelque chose de fiévreux dans la fougue avec laquelle, adoptant une partie des idées de son temps, il entreprit de les appliquer à la reconstruction de la monarchie autrichienne, et le même caractère d’aspiration non satisfaite, de désirs avortés, semble marquer aussi sa vie privée d’une sympathique et triste empreinte. Il était d’un cœur chaleureux et aimant, bien que son humeur, au moins dans la seconde moitié de sa vie, fût devenue fantasque. Après avoir aimé éperdument sa première femme, la tendre et modeste Isabelle de Parme, morte à vingt et un ans, remarié longtemps après, il était promptement redevenu veuf et ne conservait que pour peu d’années une fille de sa première femme. Ces malheurs domestiques l’avaient pour toujours ébranlé. Il n’en jouissait pas moins d’une grande autorité morale auprès de sa mère et de ses sœurs. L’empereur François Ier étant mort en 1765, Marie-Thérèse avait immédiatement associé Joseph à l’empire. Marie-Antoinette en particulier, plus jeune que lui de quatorze ans, l’écoutait et le respectait comme un père. Dès 1775, au moment du sacre, elle lui avait écrit combien elle serait heureuse qu’il vînt, comme on l’annonçait alors, faire une visite à Versailles. Joseph ne fit ce voyage qu’en 1777, mais il profita de la première et plus tard de la seconde occasion pour donner à sa sœur des conseils dont la franchise étonne. On a trouvé dures quelquefois les expressions dont l’impératrice faisait usage en écrivant à sa fille ; que dira-t-on de celles-ci ? Elles se rencontrent dans les deux pièces qui ouvrent le second volume de M. d’Arneth ; l’une de ces pièces est une simple lettre ; l’autre, qui a pour titre Réflexions données à la reine de France, a été écrite en France même, vers la fin du voyage de Joseph II :


« Autant que j’en sais, dit-il, vous vous mêlez d’une infinité de choses qui ne vous regardent pas, que vous ne connaissez pas, et auxquelles des cabales et des alentours qui vous flattent vous font faire une démarche après l’autre… De quoi vous mêlez-vous, ma chère sœur ? De déplacer des ministres, d’en faire envoyer un autre sur ses terres, de faire donner tel