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à l’avance les officiers, et qu’il en destine le commandement au fidèle comte de La Marck. « C’est la conception d’un grand plan qu’il faut arrêter. Hors de là, il n’y a pas de salut, et la société arrive, s’écrie-t-il, au terrible sauve qui peut ! » — Cette note est du 13 août ; elle dut être reçue le 14 ; le 15, Marie-Antoinette écrit à Mercy :


« Le papier que je vous envoie me paraît d’un genre et d’un style si extraordinaires, que j’ai cru essentiel que vous le connussiez avant qu’on vous en parle. A vous parler franchement, il me paraît fou d’un bout à l’autre, et il n’y a que les intérêts de M. de La Marck qui y soient bien ménagés. Comment M… ou tout autre être pensant peut-il croire que jamais, mais surtout dans cet instant, le moment soit venu pour que nous, nous provoquions la guerre civile ?… Je vois bien à présent la cause de l’indifférence et de la générosité avec laquelle M. de La Marck abandonnait les régimens allemands. Le projet de composer en idée plusieurs corps de troupes est absurde si on en nomme d’avance les chefs, et si on ne les nomme pas, ils ne peuvent rien faire. Voilà mes premiers aperçus sur un papier dont la fin me paraît des plus déplacées. »


Les derniers mots sont la réponse au « terrible sauve qui peut. » Il est bien osé en effet, ce Mirabeau, de se permettre de pareilles familiarités de pensée et de langage ! — Il s’en permit bien d’autres quand il commença de répéter ce que La Marck appelle son épouvantable refrain : « A quoi donc pensent ces gens-là ? Ne voient-ils pas les abîmes qui se creusent sous leurs pas ? — Le roi et la reine y périront, et, vous le verrez, la populace battra leurs cadavres. — Oui, oui, on battra leurs cadavres. — Ils battront le pavé de leurs cadavres ! »

Rien n’ouvrait les yeux à cette cour, à cette reine, — car c’est à elle seule, Mirabeau le déclare, qu’il s’adressait. Il eût fallu, pour comprendre le terrible langage dont il se servait, une imagination ardente, une âme facilement ouverte à l’enthousiasme. Il eût fallu pour se servir d’un Mirabeau, avec cette fierté d’âme et cette grâce que possédait Marie-Antoinette, un grand sens capable d’assigner à un tel homme un grand rôle auprès du trône, mais en même temps de le dominer. Il avait été, quant à lui, ébloui au premier moment : il avait conçu l’espoir que la reine sauverait le trône, et il avait trouvé pour le lui dire des expressions qui avaient dû aller au cœur de la fille de Marie-Thérèse : « J’aime à croire que la reine ne voudrait pas de la vie sans sa couronne ; mais ce dont je suis bien sûr, c’est qu’elle ne conservera pas sa vie si elle ne conserve pas sa couronne. Le moment viendra, et bientôt, où il lui faudra essayer ce que peuvent une femme et un enfant à cheval : c’est pour elle une méthode de famille ! »