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cesse il avertissait l’assemblée que ses imprudences à l’égard des cours pouvaient susciter de dangereuses complications extérieures. Une de ses conversations, peut-être même une ses notes sur le parti que d’aventure la cour pourrait tirer de pareilles circonstances, a-t-elle été en passant par quelque intermédiaire, comme l’archevêque de Toulouse par exemple, mal interprétée auprès de la reine ? Ou bien Marie-Antoinette elle-même n’aurait-elle pas, à son insu, fait incliner quelques indications peu précises vers l’idée d’un plan qui véritablement était le sien propre et devenait le principal objet de ses pensées ?

Mirabeau meurt le 2 avril ; on n’a aucune lettre de la reine qui témoigne de son sentiment sur cette mort ; mais on peut bien conjecturer que ce fut une délivrance pour la cour. Mirabeau ne jouissait plus auprès du roi ni de la reine d’aucune confiance ; le roi trouvait qu’il se faisait payer trop cher ; on le laissait combiner tout un vaste plan pour contre-miner dans les provinces les menées des anarchistes, mais on lui cachait soigneusement tout ce qu’on méditait d’accomplir ailleurs. Dans une telle situation, il est certain que Mirabeau devenait plus dangereux qu’utile. — Nous disions tout à l’heure, à propos de l’entrevue du 3 juillet, que l’œuvre apocryphe avait introduit les fausses couleurs d’une mise en scène dramatique ; on peut juger à présent que la simple réalité présentait cependant à elle seule une assez riche matière aux émotions graves. Vit-on jamais une plus saisissante apparition que celle de ce génie désordonné chargé de prédire à un roi et à une reine timides leur destinée épouvantable ? Ému de pitié et touché d’une grande ambition, il veut les sauver ; mais on le dédaigne, et il meurt tourmenté par l’amère conscience de son impuissance méritée.

La reine n’a jamais conçu de sérieux espoir que dans l’intervention étrangère. Elle s’en est exprimée nettement plus tôt qu’on ne le croyait : nous avons vu que dès le 12 juin 1790, presque au début de la révolution, qui n’a commencé pour elle qu’aux journées d’octobre 89, interprétant bien ou mal les projets de Mirabeau, elle s’est attachée à cette pensée. En quelques mois, elle a conçu tout un vaste plan de contre-révolution par l’invasion étrangère. On tremble quand on lit dans le volume de M. d’Arneth qu’une lettre comme la suivante, qu’elle se fait écrire de Bruxelles par Mercy au commencement de mars 1791, a été interceptée et transmise au comité des recherches à Paris :


« Il y a ici 49,600 hommes de troupes d’élite ; on parviendrait difficilement à les désorganiser ; les missionnaires envoyés à cet effet n’ont encore formé aucune tentative. Ils sont surveillés très soigneusement, et on n’épargnera pas ceux qui seront surpris dans les fonctions de leur dangereux