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Ministère… L’Alsace, avec la réunion de quelques princes d’Allemagne intéressés à revendiquer leurs fiefs dans cette province, devrait être regardée comme le point central des opérations qui seront tentées. En s’assurant de la ville et citadelle de Strasbourg, on se trouverait dans une position également sûre et formidable, à portée des secours que l’on peut se promettre, avec une retraite libre en cas de besoin. Si en même temps les royalistes prennent consistance dans quelques-unes des provinces méridionales ; et que la Bretagne s’y joigne ; l’intérieur du royaume menacé par les deux extrémités opposées, privé de toutes ressources de commerce et autres, ne pourrait se soutenir longtemps contre une attaque dont l’impulsion ; majeure pèserait immédiatement sur la capitale. — Il ne faut pas se dissimuler le principe reçu généralement que les grandes puissances ne font rien pour rien. Le roi de Sardaigne a toujours eu des vues sur Genève ; une extension de limites dans la partie française des Alpes et sur le Var lui serait très intéressante. Pareille facilité pourrait être négociée avec l’Espagne pour les limites de la Navarre. Les princes feudataires en Alsace seraient gagnés à peu de frais, et leur concours est d’une extrême importance. L’empereur est le seul duquel on pourrait se promettre des secours désintéressés. De ces remarques s’ensuit la nécessité de plusieurs négociations dirigées par des personnes ! Affidées et habiles… »


Imagine-t-on l’effet que de pareilles lettres interceptées devaient produire, et quelles défiances, quelles rigueurs dans les provinces, quelle irritation des esprits en devaient résulter ? Mercy n’écrivait de la sorte qu’après avoir reçu de Marie-Antoinette elle-même des lettres tout aussi graves, où elle discutait les moyens de constituer la ligue étrangère et le prix auquel la France devait acheter ce secours. Quelque étrange que cela nous paraisse, la reine croyait parler au nom de cette partie saine de la nation, comme elle disait, dont elle comptait pour rien le concours tant que le point d’appui d’une coalition extérieure ne viendrait pas l’encourager. Elle était fatalement entraînée vers l’unique ressource d’une alliance extérieure, puisque d’une part elle refusait absolument le concours des princes et de la noblesse, et que de l’autre elle ne voulait pas se fier au parti révolutionnaire modéré. Éclairée par son antipathie pour cette partie de noblesse légère et frondeuse d’où lui étaient venus les premiers déboires, elle démasquait les vaines et dangereuses bravades de l’émigration, et quant aux rapports qui s’engagèrent après le retour de Varennes entre elle et Barnave, nous savons maintenant, par le volume de M. d’Arneth, qu’elle ne fit de ce côté non plus aucune sorte de concession.

La simple lecture des précieux documens que nous livrent les archives autrichiennes devient ici singulièrement dramatique par les émouvantes vicissitudes qu’elle révèle. Le projet de fuite vient d’échouer. Marie-Antoinette, à peine de retour à Paris, rend un bel