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mettant le pied en Calabre, à la tête d’une compagnie de débarquement. De Flotte fut un fanatique du devoir, il ne tergiversa jamais avec lui-même et se porta sans hésiter partout où il estima qu’il y avait à défendre ou à propager les idées qu’il aimait et qui lui avaient fait une conscience imperturbable. Je sais qu’il a laissé de profonds regrets dans le cœur de ses amis. Tous affirment que nulle ambition ne lui aurait été interdite, s’il eût vécu dans des circonstances propices. Sa mort fut un deuil pour la petite armée de Garibaldi ; les listes d’une souscription improvisée furent promptement couvertes, et il fut décidé qu’un monument commémoratif serait élevé à la mémoire de ce Français qui était venu mourir pour la cause de l’unité italienne. M. Soytoux fut chargé de reproduire les traits que n’ont pas oubliés les membres de l’assemblée législative dissoute le 2 décembre, et il s’est acquitté avec honneur de la tâche qu’il avait acceptée. C’est bien là ce visage à la fois concentré et mystique, surmonté d’un front trop large et que termine un menton avancé, énergique et presque violent. Des yeux légèrement saillans et comme voilés par le regard interne achèvent de donner le caractère de cette physionomie curieuse à plus d’un titre, sympathique et résolue. Où sera placé ce buste ? A Santa-Croce de Florence ? Près de Scylla, à l’endroit même où de Flotte est tombé ? Je ne sais. En dehors des souvenirs que cette œuvre rappelle, elle est remarquable et mérite qu’on en félicite M. Soytoux.


II

Il est assez naturel que la peinture d’histoire, celle qu’on nomme ordinairement la grande peinture, soit en décadence, car elle n’intéresse plus personne. Les tableaux de genre suffisent au goût du public, qui passe indifférent devant les scènes religieuses et les toiles historiques. Les élèves de l’école de Rome, de cette école spécialement fondée et entretenue pour former en France un groupe sérieux de peintres d’histoire, ont suivi la pente commune et ne font guère aujourd’hui, à moins de commandes officielles, que des tableaux de genre. Nous essaierons, cependant de découvrir parmi les œuvres exposées au Salon de 1866 celles qui, par leur facture et les tendances qu’elles indiquent, prouvent chez les auteurs quelque souci d’un art élevé et dégagé de tout intérêt mercantile, sans nous occuper de certains essais où des prétentions au style cachent une vacuité déplorable, où la ligne est insuffisante, la couleur nulle, l’invention médiocre, où l’on ne retrouve que des réminiscences trop mal déguisées des ébauches de Jules Romain et des gravures de Marc-Antoine. La stérilité de ces sortes de décorations, qui paraissent peintes à la détrempe, a pu faire illusion quelque temps ;