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politiques. M. de Serre n’est pas en peine de trouver dans des souvenirs encore, tout récens la preuve des facilités qu’une égalité trop absolue prête à la dictature et des dangers qu’elle fait courir aux libertés publiques. « N’avons-nous pas vu, s’écrie-t-il, combien le despotisme pouvait mener son char à l’aise, les rênes tendues et le fouet levé, sur l’aire aplanie et nivelée ! » Quelle peinture poignante et profonde ! qui ne l’a rencontré quelque part ce char insolent du despotisme démocratique ? qui n’a été brutalement froissé par sa roue ou éclaboussé de sa fange ?

Mais où M. de Serre n’a véritablement jamais eu d’égal, c’est dans ce qu’on peut appeler la repartie oratoire. Personne n’a jamais mieux su déconcerter un interrupteur et tirer parti d’une interruption, soit pour éclaircir une idée, soit pour rétracter un faux pas. Plusieurs de ces réponses sont demeurées célèbres. On connaît surtout celle que s’attira le fougueux membre de la droite, M. de la Bourdonnaye. M. de Serre, toujours désireux de justifier la France libérale de toute complicité dans les excès révolutionnaires que les ultra-royalistes ne cessaient de rappeler, s’était aventuré un peu légèrement peut-être jusqu’à dire que dans toutes les assemblées politiques de France la majorité au moins avait toujours été saine. — Quoi ! s’écria, pensant le troubler, M. de la Bourdonnaye, même la convention ! — Oui, monsieur, reprit M. de Serre, se tournant tout entier vers son adversaire, même la convention, car si la convention n’avait pas délibéré sous les poignards, la France n’aurait pas eu à gémir du plus grand des crimes. — Dans une assemblée où le royalisme dominait, on ne pouvait plus éloquemment. sortir d’embarras, et des témoins m’ont dit n’avoir jamais assisté à un pareil effet de séance.

M. de Serre fut tout aussi éloquent, mais moins juste et plus dur, en répondant l’année suivante dans un autre sens à un démocrate célèbre qui avait joué un grand rôle dans la première révolution et qui avait parlé de ces temps néfastes en caressant trop complaisamment ce souvenir. « Laissons ces temps, dit sèchement M. de Serre, ils appartiennent à l’histoire, et l’histoire, qui les jugera, jugera aussi l’honorable membre. Ils ont dû laisser dans son esprit de douloureuses expériences et d’utiles souvenirs, car il a dû alors s’apercevoir, la mort dans l’âme et la rougeur sur le front, que quand on a une fois ébranlé les masses populaires, non-seulement on ne peut plus les arrêter quand elles courent au crime, mais on est obligé de les suivre et quelquefois de les conduire. » L’allusion au rôle de M. de La Fayette dans la journée du 6 octobre était claire et cruelle jusqu’à l’iniquité. Nous n’avons aucun dessein de nous associer à ce jugement historique ; mais aujourd’hui que tous ces souvenirs sont refroidis et que nous pouvons parler de