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centralisation. D’abord c’était une des œuvres favorites de la révolution de 1789. Si la révolution n’a pas créé la centralisation, elle lui a donné au moins le plus efficace complément. Cette origine était bien suffisante pour exciter la déplaisance de M. de Villèle. De plus M. de Villèle appartenait à un pays d’états, qui avait gardé jusqu’aux derniers jours de l’ancienne monarchie une constitution provinciale : il avait vu le jour dans une cité qui fait remonter jusqu’à César ses libertés municipales. L’héritier des anciens capitouls de Toulouse ne devait pas avoir assez d’anathèmes pour un régime qui dépouillait sa ville natale de franchises immémoriales. Aussi M. de Villèle débarquant à Paris était-il tout de feu contre la centralisation, et ses premières propositions furent destinées à recommander à la France un système presque fédératif de libertés locales. Peu à peu cependant on vit se refroidir ce zèle. En passant des provinces à la capitale, le point de vue change assez souvent. La centralisation, qui pèse aux extrémités, gagne (c’est assez naturel) à être vue du centre. On n’approche pas sans une certaine admiration du foyer où cette puissante machine accumule la chaleur produite par des millions d’efforts humains pour en alimenter un moteur colossal qui va s’assujettir aux ordres d’une seule volonté. Ce spectacle, qui n’est pas sans grandeur, a toujours exercé une séduction irrésistible sur les hommes qui ont l’instinct du commandement. M. de Villèle n’échappa point à cette influence. Il en vint bientôt à se demander si, au lieu de détruire une si belle œuvre d’art et un tel instrument de force, la restauration ne ferait pas mieux de se l’approprier pour en faire le meilleur appui de son autorité chancelante. L’idée sans doute le traversa aussi qu’il y aurait plaisir à être soi-même le mécanicien qui fait courir sous ses doigts ces fils croisés et déliés dont le jeu est à la fois si complexe et si harmonieux. Quoi qu’il en soit, la conversion de M. de Villèle à cet égard était déjà bien avancée quand le roi l’appela au pouvoir. Il faut croire que le fait d’être premier ministre la compléta, car ni avant ni après avoir pris les rênes de l’état on ne voit qu’il ait fait figurer dans son programme ministériel la concession d’une ombre, d’un atome, d’un fétu d’indépendance pour la moindre des communes de France.

Rien donc, on le voit, n’était plus faux que l’opinion généralement répandue qui prêtait à M. de Villèle, entrant au ministère en 1822, la pensée d’user de son pouvoir pour travailler à une contre-révolution générale. Ceux qui pensaient ainsi ne mesuraient pas bien le changement que les années, l’expérience, l’ambition personnelle, avaient opéré, non dans ses idées, mais dans ses habitudes. Au fond, l’homme de l’ancien régime avait à peu près disparu ou fait silence en lui : ses velléités réactionnaires étaient assoupies, sinon éteintes. Il était résigné, façonné aux institutions