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a voulu, sans compter et sans prendre la mesure de ses ressources, inscrire parmi les dépenses publiques, sur de grandes proportions, les améliorations sociales qui font l’honneur de notre siècle. On veut des voies de communication de toute sorte, on veut des écoles de divers genres, on veut l’assainissement des villes et du territoire, des ports munis du dispendieux outillage qui est nécessaire à un commerce devenu immense. Avec de pareils désirs, auxquels les états s’abandonnent, persuadés que c’est suivre la bonne pente, comment la plupart des budgets n’auraient-ils pas été surchargés ?

Il n’y avait guère que le budget de l’Angleterre où le gouvernement fût bien à l’aise, parce que là le gouvernement laisse à l’industrie privée le soin, le profit et la gloire de la plupart de ces améliorations. La régime de la paix armée restreignait, dans une notable mesure et d’une manière regrettable, l’essor de la société vers le perfectionnement social et politique, l’accroissement de la prospérité générale et individuelle, le développement du bien-être, mais il ne le paralysait pas. Personne ne peut nier que les hommes ne fussent incessamment mieux nourris, mieux vêtus, mieux logés, mieux pourvus des principaux élémens du bien-être, que les villes ne reçussent d’utiles embellissemens, que les lumières ne se répandissent avec rapidité, que les mœurs publiques ne devinssent graduellement meilleures. Des établissemens manufacturiers s’élevaient de toutes parts en même temps que des écoles et tous les autres établissemens que comporte une civilisation avancée. L’agriculture, justement nommée le premier des arts, mais jusqu’à notre époque le moins encouragé, augmentait sa puissance productive. La progression des revenus de l’état était manifeste chez toutes les nations européennes à peu près, des rives du Tage et du Volturne à celles du Danube, de l’Elbe et du Volga. C’est le signe le plus certain de la prospérité publique. Quand on a sous les yeux de tels symptômes, on ne peut admettre que la société soit ruinée, qu’elle ploie sous le faix, et on repousse énergiquement comme une assertion sacrilège cette conclusion, que, poussés à bout et n’ayant plus d’autre issue, les peuples en soient réduits à se précipiter dans la guerre, comme pour forcer le destin à s’expliquer.

Quant aux charges matérielles qu’occasionne la paix armée, il n’est pas impossible de s’en former une idée approximative. La principale, la plus visible, celle qu’on allègue le plus, c’est le prélèvement excessif qu’elle fait sur les revenus des états. À ce sujet, quelques mots d’explication : occupons-nous de la France ; c’est son intérêt qui nous touche avant tout, ce sont ses affaires