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l’Italie sous la loi du papier-monnaie. C’est une plaie qu’elle ne connaissait pas et qui l’éprouvera profondément. Déjà avant l’émission totale des 250 millions en billets de banque dont le gouvernement italien s’est réservé l’usage, ce papier-monnaie perd dix pour cent. Où en sera-t-il quand les billets émis en faveur de l’état seront montés à 7 ou 800 millions, niveau qu’on atteindrait bien vite avec la guerre ? Il n’y aurait rien de surprenant à ce qu’alors la dépréciation fût des trois quarts. Qu’est-ce que deviendraient le commerce et l’industrie de l’Italie sous ces malencontreux auspices ? Avec des transactions interrompues, un travail désorganisé, quelles perspectives seraient ouvertes à ce jeune royaume ? Comment s’arrangerait le gouvernement avec cette population si impressionnable, si mobile ? Qu’est-ce que celle-ci penserait alors du nouveau régime que les partisans des gouvernemens déchus s’appliquent tant à décrier ?

Et enfin et surtout, avec ce papier avili que l’Italie donnerait à ses soldats et à ses fournisseurs, comment marcherait la guerre ? On répond que l’Italie peut disposer d’un capital de 2 milliards en biens du clergé, et que ce sera pour elle ce que furent pour la révolution française les biens des couvens et ceux des émigrés. C’est en effet une réserve, mais elle est moins large que ne le ferait penser une estimation de ces biens qui se rapporte à un état normal des choses. En France, la vente des biens du clergé avait commencé et était passée dans la pratique avant que la révolution française n’eût rompu avec l’Europe. La guerre, dès qu’elle eut éclaté, fut marquée par des événemens tels que le gouvernement révolutionnaire fut respecté et craint au dedans et au dehors. Je souhaite de tout mon cœur à l’Italie unitaire que, si elle rencontre les Autrichiens sur les champs de bataille, elle ait ses journées de Valmy et de Jemmapes ; mais personne ne peut affirmer qu’il en serait ainsi dans l’hypothèse où elle serait livrée à ses propres forces. Bien des personnes croient que, seule contre les Autrichiens, elle ne récolterait pas les mêmes lauriers que l’armée française au début des guerres de notre grande révolution, parce que les soldats italiens, tout braves et dévoués qu’ils sont, ne valent pas les bandes aguerries des Autrichiens, qui paraissent d’ailleurs tout aussi animées, tout aussi enthousiastes. Enfin il n’est pas certain que, mis en vente en ce moment, les biens du clergé trouvassent en Italie une foule empressée d’acquéreurs. En France, les biens nationaux qu’on vendait étaient la dépouille d’un clergé fugitif et d’une noblesse qui avait émigré, et par là s’était attiré des haines violentes. En Italie, ce seraient les biens d’un clergé présent, actif, influent, dont le mécontentement, s’il se déclarait, serait un danger. Enfin on sait bien qu’en France même, malgré la crainte que la révolution