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des peuples. Dans la conduite des affaires de ce monde, le succès est subordonné bien moins à des règles qui puissent se tracer scientifiquement sur le papier qu’aux dispositions des hommes, à leur aptitude, à leur bon sens à l’éminence et à l’à-propos de leurs qualités.

Une autre observation qu’il y a lieu de faire, c’est que les phénomènes politiques et sociaux procèdent par oscillations. Les influences qui semblent opposées deux à deux, et qui en réalité sont le complément les unes des autres, prévalent alternativement, parce que alternativement tels où tels besoins se révèlent avec plus d’énergie. Or on peut penser qu’en ce moment le besoin du rapprochement est plus fort en Europe que le besoin contraire. La nécessité de s’entendre parle plus haut que la satisfaction de s’en aller chacun à l’aventure en suivant chacun son penchant. On a trop ressenti les mouvemens du caprice des initiatives isolées pour ne pas chercher à se retremper dans des résolutions communes. En un mot, les esprits sont mûrs pour un congrès qui, sous l’inspiration d’une opinion éclairée, libérale, progressive, travaillerait à mettre fin aux embarras dont l’Europe est obsédée, et poserait les termes d’un nouvel accord plus solide que tout ce qui s’est jamais vu en ce genre.

La coexistence de la souveraineté individuelle des états et d’une certaine unité manifestée par un congrès permanent ou se réunissant après des périodes d’une longueur déterminée n’est pas un fait sans précédens. Ce n’est pas seulement le conseil des amphictyons de la Grèce qu’on peut citer ici : l’exemple manquerait d’autorité, il est bien loin de nous, et il avait réussi médiocrement ; soit par la disposition du caractère national, soit par l’activité prodigieuse qu’avaient les intelligences, ces petites républiques de la Grèce étaient trop inquiètes, trop turbulentes, pour se prêter à l’observation de règles fixes et pour respecter une consigne. Heureusement notre temps nous en fournit un type bien plus imposant par sa masse, bien plus régulier dans ses formes, bien plus décisif par le succès obtenu : c’est l’Union américaine. L’Union s’est formée du rapprochement d’anciennes provinces détachées les unes des autres, transformées par la glorieuse guerre de l’indépendance en autant d’états souverains et indépendans. La réunion de leurs délégués prit le nom de congrès, qui est réservé aux réunions des envoyés d’états distincts, constitués sur la base de leur indépendance respective. Depuis 1789, date de la mise en vigueur de la constitution actuelle, l’Amérique du Nord a donné le spectacle de deux souverainetés marchant parallèlement l’une à l’autre, — celle de l’Union, représentée par le président, le congrès, la cour des États-Unis et l’armée fédérale, — et celle des états, figurée