Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/796

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

caractères. Dans Renée Mauperin, ils avaient surtout recherché l’inattendu et le bizarre ; dans Germinie Lacerteux, ils n’avaient pas reculé devant le monstrueux. Un critique ingénieux comparait dans le temps Renée Màuperin à une jolie cantatrice qui chanterait faux : pourvu qu’on ait l’oreille juste, la figure n’y fait rien, et la cantatrice est sifflée ; mais il existe bien des manières de chanter faux. Celle de Renée Mauperin offrait un caractère spécial ; sous prétexte de ressembler le moins possible à une jeune première de théâtre, Renée était constamment au-dessous ou au-dessus du ton ; elle passait ingénument de toutes les crudités de la gaminerie et de l’argot à tous les raffinemens du mysticisme romanesque. Puis, lorsqu’arrivaient son agonie et sa mort, le roman devenait un long procès-verbal pathologique. Rien, à coup sûr, ne se ressemble moins que le médical et le pittoresque. Là pourtant c’étaient deux symptômes du même mal. La médecine empiétait sur le roman, comme, dans l’ensemble des écrits de MM. de Goncourt, la peinture empiète sur le sentiment et sur l’idée. On se fait médecin comme on s’était fait peintre, faute de pouvoir ou de vouloir être un écrivain véritable, un conteur sincèrement ému. Or c’est commettre une étrange erreur que de se figurer qu’on enrichit la littérature par ces emprunts à une science quelconque ou à un art : emprunts usuraires qui l’appauvrissent de tout ce qu’ils lui prêtent.

Quant à Germinie Lacerteux, récusée aujourd’hui par les amis les plus dévoués de MM. de Goncourt, la difficulté d’en parler était l’argument le plus terrible qui pût peser sur ce triste roman ; Germinie péchait non par entraînement d’imagination, ni par faiblesse de cœur, mais par une prédisposition de tempérament. Monstrueusement innocente dans ses chutes réitérées, ses fautes étaient moins du ressort du romancier, ou même du confesseur, que du physiologiste. C’était là ce que les auteurs, dans leur préface, appelaient le roman du peuple. — Le peuple a droit à son roman, nous disaient-ils, comme si Germinie représentait une classe de roman ou le roman d’une classe, comme si le peuple avait quelque chose à voir dans un phénomène pathologique ! Qu’une femme soit patricienne, bourgeoise ou fille du peuple, une pareille organisation la déclasse et la réduit à l’état d’animal gouverné par des instincts. Si c’est là le dernier mot du réalisme, nous demandons qu’on nous ramène à Mlle de Scudéry.

Tous ces antécédens littéraires préparaient mal MM. de Goncourt au théâtre. Ils en ont essayé pourtant : assez spirituels pour comprendre que leurs succès maladifs gardaient la chambre et sentaient le renfermé, ils voulurent se mesurer avec le public, le gros public, qui n’a plus à se fâcher de l’épithète, puisque les auteurs d’Idées et sensations viennent de l’appliquer à Raphaël. On sait ce qui en est advenu. Nous avons comparé le curieux à un sultan blasé : il en a les caprices, mais il en a aussi les cruautés ; il, tue ceux qui ne l’amusent pas. Henriette Maréchal a été une de ses victimes. Loin de nous l’envie d’en refaire l’histoire ! Mais il sied de protester contre la légende d’après laquelle le drame infortuné de