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de suivre aveuglément et passivement l’Italie dans les guerres qu’il lui plaira d’affronter. Il a convenu à l’Italie de s’allier à la Prusse de M. de Bismark : c’était son droit, et nous ne lui adressons point de reproches ; mais les politiques italiens se tromperaient, s’ils croyaient pouvoir faire aussi de la France par ricochet l’alliée aveugle et dupée de la Prusse de M. de Bismark. Des raisons de sentiment et des raisons d’intérêt nous font souhaiter que la Vénétie soit réunie à l’Italie et que le différend austro-italien soit définitivement réglé ; mais nous sommes obligés d’avoir en même temps les yeux ouverts sur l’Allemagne. Or il n’est pas possible que la France aille travailler de gaîté de cœur, en passant par l’Adige, l’Adriatique et Venise, à grandir sur sa frontière la plus sensible une Prusse qui disposerait des forces armées de l’Allemagne. Du côté de l’Allemagne, tout nous convie à la paix ; l’esprit industrieux et libéral de ses habitans, leurs vieilles et honnêtes habitudes d’autonomie fédérative, les périls que nous nous créerions à plaisir, si nous nous faisions les auxiliaires des médiocres imitateurs et des exagérateurs déplaisans de la politique de Frédéric II. Nous n’avons rien à gagner à l’affaiblissement et à l’humiliation au-delà du Rhin ni de la Prusse, ni de l’Autriche, ni de la moyenne Allemagne. Si nous secondions la concentration en une seule main des forces germaniques, nous ne travaillerions que contre notre propre sécurité. Dans un temps où il est insensé de faire des conquêtes parce qu’on ne peut plus assimiler à soi des races anciennes et civilisées, d’origine et de langue différentes, nous qui d’ailleurs professons le respect des nationalités indépendantes, nous nous créerions l’absurde nécessité de chercher contre nos voisins agrandis des compensations de populations et de territoires qui deviendraient entre eux et nous une éternelle cause de guerre ! La France doit aider l’Italie à s’achever par l’émancipation de la Vénétie ; mais la France doit employer tous ses efforts pour détourner une guerre où l’on ne pourrait servir des intérêts italiens qu’en exposant à des dangers certains des intérêts français. L’empereur et nos plénipotentiaires vont maintenant se trouver en face des choses ; ils les verront de près telles qu’elles sont. L’intervalle qui les sépare de l’accomplissement de la tache qu’ils ont entreprise sera pour eux un moment de recueillement solennel. Il est impossible que des réflexions fécondées par le patriotisme et le sentiment de la responsabilité ne redoublent en eux le zèle de la paix et l’autorité des volontés conciliatrices.

Les petites difficultés disparaissent dans l’ombre des grandes. En d’autres temps, la nomination du prince de Hohenzollern à l’hospodarat de Roumanie et l’arrivée mystérieuse et romanesque du noble élu dans sa principauté eussent fait grand bruit. Les cabinets se seraient émus, les parlemens où l’on interpelle eussent retenti de demandes d’explications, les fronts ministériels se fussent plissés, les Turcs eussent roulé de grands yeux, et les journaux n’eussent pas manqué d’annoncer au public une