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intrigué à la vue de l’écriture chinoise, aussi hiéroglyphique et aussi impénétrable que la civilisation de ce peuple mystérieux ? Eh bien ! telle est la facilité acquise dans ces derniers temps par les Anglais pour imprimer des livres chinois, qu’une traduction du Nouveau Testament, qui coûtait autrefois deux guinées, se vend à présent trois deniers et demi sur les marchés de Pékin. L’Inde était une autre forêt vierge à entamer ; mais il fallait pour cela s’emparer d’idiomes d’un accès difficile. Parmi les membres chargés de réviser une traduction de la Bible en tamil (langue parlée par près de douze millions d’Indiens), l’un avait étudié pendant douze années et l’autre pendant quarante années avant de se charger de cette tâche délicate. Un des grands obstacles contre lesquels ont à lutter les interprètes du livre saint est l’insuffisance des expressions religieuses au milieu de la richesse poétique des langues orientales. Les mots manquent parce que les idées qu’il s’agirait d’exprimer sont étrangères à certaines familles humaines[1]. La société n’en a pas moins conquis à ses desseins une quarantaine de dialectes qui florissent dans l’Inde ou à Ceylan. Le nombre total des traductions s’élève à deux cent sept, et depuis 1804 l’institution a disséminé dans le monde plus de quarante-six millions d’exemplaires de la Bible.

Le gouvernement de la Bible society réside dans un comité composé de trente-six laïques. Parmi ces membres influens, six sont des étrangers résidant à Londres ou dans les environs ; le reste se divise en deux moitiés égales de régnicoles, l’une appartenant à l’église d’Angleterre et l’autre aux diverses sectes chrétiennes. Le comité se rassemble régulièrement le premier et le troisième lundi du mois dans le local de la société, Society’s house. Il nomme lui-même un président, des vice-présidens et des secrétaires, qui ont tous le droit de voter, ainsi que les membres du clergé anglican et les ministres des sectes dissidentes qui veulent bien assister aux séances. Un des vice-présidens était le célèbre William Wilberforce, qui en 1833 suggéra l’acte du parlement pour l’abolition de

  1. Un exemple servira, je crois, à préciser la nature de cette difficulté. M. Thompson, missionnaire chargé de traduire les Écritures en thibétain, se plaignait dernièrement de ne point trouver de mot dans cette langue qui répondit à l’idée de justice. « J’ai cherché en vain, ajoutait-il, un mot pour désigner la conscience, » Le traducteur fut contraint d’employer une périphrase : « la distinction du bien et du mal. » Il en est de même pour esprit, vision, extase, juger, condamner, réconcilier, qui n’ont point d’équivalent dans l’idiome du Thibet. L’extase des Orientaux, par exemple, est un autre phénomène que celui des chrétiens, — le transport naturel et volontaire de l’âme hors du monde des sens. La mort elle-même, comme substantif et personnification d’un fait, n’existe point pour les Thibétains ; ils ne connaissent que les choses mortes. M. Thompson interrogea les savans du pays, les lamas ; mais il n’apprit d’eux qu’à mieux constater la différence entre leur manière de penser et la nôtre,