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John-Williams. Ceux qui n’avaient point d’argent apportèrent de l’huile, du café, du tabac, de l’arrow-root. La London missionary society, à laquelle appartenait le vaisseau naufragé, ouvrit de son côté une souscription, qui fut en grande partie couverte par les enfans des écoles anglaises, et qui s’éleva bientôt à plus de 12,000 liv. sterling (300,000 fr.). A l’aide de ces dons volontaires avait été construit dans les chantiers à Aberdeen le fier bâtiment qui, tout appareillé, allait cette année même braver les mers du sud. Debout sur le pont, dix passagers, les missionnaires et leurs femmes, faisaient leurs adieux à tout ce qui les entourait. Six d’entre eux étaient envoyés aux îles des Navigateurs, les quatre autres à Rarotonga et à Huaheine. C’est toujours un moment solennel que celui du départ d’un navire ; mais ici la longueur de la traversée et le but moral que ce vaisseau allait poursuivre au-delà des mers ajoutaient beaucoup à l’émotion des spectateurs. On eût pourtant cherché en vain ces scènes d’attendrissement et de confusion qui règnent d’ordinaire à bord en pareil cas. Le visage des voyageurs, surtout celui des femmes, n’exprimait qu’une légère nuance de mélancolie, éclairée par un rayon d’enthousiasme calme et contenu. Ce qui caractérise les missionnaires anglais est l’humeur errante associée au sentiment religieux. S’il existe encore de la foi sur la terre, c’est parmi eux qu’il faut la chercher. La famille, dont ils ne se séparent jamais dans leurs expéditions lointaines, leur donne un grand avantage sur les prêtres catholiques. Quel est le véritable missionnaire protestant au milieu des races plus ou moins idolâtres ? La femme. C’est sur elle et sur les enfans plus encore que sur l’homme que comptent les diverses sociétés de Londres pour insinuer le christianisme anglais dans les bonnes grâces des sauvages. Cependant le John-Williams, toutes les voiles au vent, semblait frémir d’impatience. Après divers signaux, la voix du capitaine commanda de lever l’ancre, et le navire partit pour son premier voyage. La foule le suivit longtemps des yeux : les autres bâtimens qui voguaient alors sur la Tamise étaient des messagers d’affaires, lui était le représentant d’une idée.

La London missionary society est la première qui ait entamé le champ vierge de la Polynésie. En 1790, elle envoya dix-neuf ouvriers de la foi à Otahiti sur le Duff vaisseau qu’elle avait acheté pour ce service et qui est resté célèbre dans les annales des missions britanniques. Les commencemens ne furent point heureux. Comme on était alors en guerre, le Duff, durant une seconde traversée, fut saisi dans les mers du sud par un corsaire français, qui le conduisit à Rio-Janeiro. Les vingt-neuf missionnaires qui faisaient partie de cette seconde expédition retournèrent en Angleterre après dix mois d’absence sans même avoir atteint le but de leur voyage. Sur treize