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s’élèvent que de quelques pieds au-dessus du niveau de la mer, et ne s’annoncent au navigateur que par les arbres qui se balancent à la surface. Dans toutes néanmoins, le règne animal était extrêmement pauvre. Quelques-unes d’entre elles n’étaient guère occupées que par des serpens, des chauves-souris vampires et des rats ; il est vrai que ces derniers y pullulaient., Dans les commencemens, les missionnaires ne pouvaient se mettre à table sans avoir deux ou trois personnes chargées de protéger les mets contre les attaques des maraudeurs. Une Anglaise, ayant laissé un soir ses souliers à côté de son lit, ne les retrouva plus le lendemain au point du jour. Pour faire la guerre à de tels ennemis, on introduisit un chat dans l’une des îles. Cet animal causa de grandes frayeurs parmi les habitans, et joua plus d’un tour qui donna lieu à des récits empreints de merveilleux. A quoi bon d’ailleurs détruire les rats avant d’avoir pourvu à leur remplacement ? Les insulaires en vivaient ; la chair en était considérée comme exquise, et « aussi bon qu’un rat » était un proverbe favori parmi les sauvages pour exprimer une des nuances de l’épicurisme. Quand les missionnaires anglais importèrent pour la première fois deux porcs à Mangaia, les naturels, qui n’avaient jamais vu de pareils êtres, poussèrent des cris d’étonnement. Le chef les revêtit de ses propres habits et des insignes de sa dignité, puis les envoya faire leur cour aux dieux. Aujourd’hui ces animaux sont très communs dans la plupart des îles de l’Océanie ; doués d’un appétit glouton, ils ont en partie détruit les rats, offrant à l’homme leur chair en échange. La chèvre eut aussi l’honneur de provoquer à l’origine l’admiration des indigènes ; ils la prirent pour un oiseau merveilleux, ayant deux grosses dents sur la tête. Cet oiseau à longs poils s’est prodigieusement accru et multiplié dans les montagnes de ces îles, où la nature s’était montrée si avare de formes vivantes. L’âne et le cheval, surnommé par les Polynésiens « le grand cochon qui porte l’homme, » sont entrés à leur tour dans les mêmes régions où ils ont été suivis par le gros bétail. Cette œuvre de naturalisation a considérablement enrichi le régime alimentaire des habitans. Dans les premiers temps, les missionnaires et leurs familles étaient obligés de se contenter de la viande de porc. Dix années se passèrent depuis l’arrivée de John Williams dans les îles de l’Océanie, avant qu’il pût abattre un bœuf. Ce fut une grande fête à laquelle il invita plusieurs de ses confrères qui passèrent la mer pour assister au festin. Quelle fut pourtant leur mystification quand ils trouvèrent que chacun d’entre eux ne pouvait plus souffrir l’odeur ni le goût de cette nourriture éminemment anglaise ! Une des femmes des missionnaires éclata en sanglots, et s’écria : « Faut-il que nous soyons