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Le filtre est dans l’intérieur de la maison comme un objet sacré sur lequel veille la femme du missionnaire ; c’est à elle de le tenir plein d’eau et d’empêcher qu’on ne le vide inutilement. Les jardins, où il y a un puits et des bras pour arroser, ressemblent à des bateaux de fleurs et de fruits flottans au milieu d’un océan de stérilité.

Les missionnaires anglais ne partagent nullement les idées des Américains sur l’infériorité absolue des nègres. Tous au contraire rendent hommage aux bonnes qualités de la race éthiopienne ; lorsqu’ils ont quelquefois à rougir, c’est de la conduite des blancs qui traversent le pays à la poursuite de l’ivoire ou des plumes d’autruche et qui donnent les plus tristes exemples à la population noire. Dans les écoles, les enfans de couleur témoignent une certaine facilité pour apprendre[1]. Parmi les hommes qui ont le plus fait pour l’éducation des noirs, il faut citer le vénérable Robert Moffat, beau-père du grand voyageur Livingstone. Droit et ferme malgré son grand âge comme un palmier dans le désert, seul étranger au milieu d’une contrée presque sauvage, il surveille lui-même le champ des travaux apostoliques où il est aidé dans la direction des classes par sa fille Jane. La grande objection des nègres idolâtres qui refusent de se convertir au christianisme est « que la religion du blanc est faite pour le blanc, comme la religion du noir est faite pour le noir. » Il pourrait bien y avoir dans ce raisonnement naïf un fond de vérité physiologique. Aussi, tandis que certains missionnaires à vues étroites veulent à toute force inculquer chez l’homme de couleur des dogmes inintelligibles, d’autres plus éclairés se contentent de graver dans son cœur les traits généraux de la morale chrétienne[2].

Pendant de longues années, les missionnaires anglais ont eu beaucoup moins à souffrir de la part des nègres idolâtres que de la part des maîtres d’esclaves, leurs compatriotes. Quant à ces derniers, Ils ont vu avec regret leur règne finir en 1838 ; mais il s’en faut de beaucoup que l’esclavage soit aboli de fait sur les côtes de

  1. Trois jeunes nègres arrachés à l’esclavage furent amenés dernièrement en Angleterre par M. Rigby, ancien consul à Zanzibar, et placés dans diverses institutions,.où ils se distinguèrent par leur mérite. L’un d’eux était toujours à la tête de sa classe. On assure néanmoins que vers quatorze ans se déclare une époque critique dans les facultés du nègre. La vérité est que nos méthodes européennes ne conviennent point toujours au développement particulier de son intelligence.
  2. Le docteur Colenso, à une séance de la Société géographique de Londres, déclarait qu’il faudrait au moins deux siècles avant que les Zoulous fussent à même de saisir les subtilités théologiques du symbole d’Athanase, « et c’est bien heureux, ajoutait-il, car d’ici là l’église d’Angleterre aura eu le temps de modifier quelques-unes de ses doctrines. »