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l’Afrique. Et comment en serait-il ainsi quand dans l’intérieur de ce malheureux pays, où l’on voit les annales de la race noire écrites en caractères de sang, les sujets sont vendus par les chefs, les enfans par les pères, les familles par les familles ? Le commerce de chair humaine est surtout exercé par les Arabes, et l’esclave qu’on échange de main en main se trouve considéré entre ces marchands comme une sorte de monnaie courante. Il ne se passe guère de jour où un navire faisant la traite des noirs ne soit saisi sur la côte à la suite d’un furieux engagement entre les marins anglais et les Arabes. Les missionnaires et leurs femmes assistent d’ordinaire à la scène navrante du débarquement. Les marins déposent d’abord à terre des enfans de trois à six ans qu’ils étendent sur le sable avec de rudes bons mots et en les caressant sur la tête comme des agneaux noirs. Viennent ensuite les jeunes filles dont quelques-unes ont été blessées dans la bataille, les mères avec leur nourrisson, et les hommes étonnés de l’intérêt qu’on leur témoigne. Une cargaison de trois cent cinquante noirs est quelquefois entassée dans un étroit bateau où chacun n’a qu’une poignée de riz cru pour se nourrir. Les Arabes calculent qu’à cause de la grande mortalité qui règne à bord, un nègre sur trois arrivera à bon port ; mais cette proportion n’en donne pas moins de grands bénéfices d’argent. Les missionnaires anglais comptent beaucoup sur l’abolition de l’esclavage dans les états du sud de l’Amérique, fruit de la dernière guerre, pour éteindre cet odieux trafic. Les efforts qu’ils ont faits sur la côte de l’Afrique en vue de limiter les horreurs d’un tel régime leur ont d’ailleurs valu pour eux-mêmes et pour leur nation les bonnes grâces de la famille éthiopienne. M. Livingstone racontait en 1865 à la séance annuelle des missionnaires de Londres que, lorsque le fouet public (car il existe une pareille institution) agit avec force dans l’intérieur du pays, les malheureux nègres flagellés s’écrient jusque sous les coups : « Oh ! les Anglais ! quand viendront les Anglais ? »

Dans les premières années du XIXe siècle, l’attention de la Grande-Bretagne fut appelée sur Madagascar. Les vingt-deux états entre lesquels l’île se trouvait divisée venaient de tomber entre les mains des Hovas, race forte et guerrière. En 1820, la société des missionnaires de Londres envoya des hommes qui, à une instruction libérale, joignaient une certaine connaissance des arts mécaniques. Ils furent bien reçus par le roi Radama Ier, qui, trop dieu lui-même pour céder la place à un autre[1], n’en favorisa pas moins les écoles

  1. Durant un orage, il s’amusait à faire tirer le canon, quand le consul anglais lui ayant demandé la raison de ce bruit : « Le Dieu d’en haut, répliqua le roi, parle par son tonnerre et moi par le canon ; nous nous répondons l’un à l’autre. »