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même du polythéisme, a vaincu les dieux. Que les chrétiens toutefois ne se hâtent pas trop de se réjouir d’un tel triomphe ; ce n’est guère au profit de leurs croyances que s’écroule l’édifice colossal des superstitions hindoues. Sous divers noms, tels que Brahmo-Sijah, Brahmo-Somaj et Véda-Somajam, il s’est formé, dans ces dernières années, une nouvelle secte qui se tient à égale distance de toutes les révélations. Les membres de ces sortes de franc-maçonneries indiennes ne se rallient qu’à la croyance en un être suprême. Opposés en même temps au christianisme et à la religion des Hindous, trouvant dans la Bible aussi bien que dans les Védas des passages en contradiction avec la science, ils ont résolu, comme ils disent eux-mêmes, de couper le câble qui rattache l’esprit des autres hommes à une autorité surnaturelle. Ces disciples de la raison se font d’ailleurs remarquer par un grand esprit de tolérance et s’engagent entre eux à respecter toutes les opinions. Il leur arrive quelquefois d’observer les cérémonies en usage, comme, par exemple, dans les mariages et les enterremens, mais c’est pour ne point blesser les sentimens de la société au milieu de laquelle ils vivent. A part ces légers sacrifices aux préjugés existans, leur conduite témoigne d’une grande liberté d’esprit : dans toutes les formes de religion qui n’appartiennent point au pur déisme, ils déclarent ouvertement ne reconnaître que les restes inertes de superstitions évanouies. De telles associations, entourées de l’éclat que donnent l’intelligence et la richesse, exercent nécessairement une grande influence sur la jeunesse éclairée de Bombay, de Madras et de Calcutta. Aussi s’est-il formé une génération de penseurs qui étonnent les missionnaires anglais par la hardiesse et l’étendue des jugemens philosophiques. Parlent-ils dans les meetings, la hauteur de leur morale défie la censure des chrétiens eux-mêmes ; sans distinction de race ni de pays, ils citent à l’appui de leurs idées les noms des écrivains, des voyageurs, des savans, qui ont rapproché les distances et préparé l’unité de la famille humaine.

Sur les cent cinquante millions d’habitans qui couvrent la surface de l’Inde, on calcule qu’environ cent douze mille se sont convertis au christianisme. C’est une bien maigre gerbe dans une moisson si abondante, et pourtant les missionnaires n’ont jamais témoigné plus d’espoir. Les Shastras, un des livres sacrés, n’annoncent-ils point une douzième incarnation de Wishnou ? D’après les commentaires des brahmes ; eux-mêmes, on touche au grand événement qui doit modifier la religion des Indiens. Ce changement, tout le monde le prévoit, les Chrétiens l’attendent ; mais répondra-t-il bien à l’idée que s’en font les missionnaires anglais ? Il suffira d’indiquer ici quelques-uns des obstacles qui s’opposent dans l’Inde aux progrès