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secouer gauchement ses ailes, je crus voir un Allemand. Quant aux poissons, nous n’en aperçûmes pas un seul : tous dormaient au fond. Je commençais à m’habituer à la sensation de voler et même à y trouver du plaisir. Quiconque a rêvé qu’il volait me comprendra. Complètement rassuré, je m’appliquai à bien observer l’être étrange à qui je devais de jouer un rôle dans cette incroyable aventure.


VII

C’était une jeune femme dont les traits n’avaient rien du type russe. Sa forme d’un blanc grisâtre, à demi transparente, des ombres à peine indiquées rappelaient ces figures sculptées sur un vase d’albâtre qu’une lampe éclaire à l’intérieur. Il me sembla de nouveau que ses traits ne m’étaient pas inconnus.

— Puis-je te parler ? lui demandai-je.

— Parle.

— Je te vois un anneau au doigt… As-tu vécu sur la terre ? As-tu été mariée ? — Je m’arrêtai ; elle ne répondait pas.

— Comment t’appelles-tu ? ou comment t’appelait-on ?

— Appelle-moi Ellice.

— Ellice ? C’est un nom anglais. Es-tu Anglaise ?… M’as-tu connu autrefois ?

— Non.

— Pourquoi es-tu venue m’apparaître ?

— Je t’aime.

— Es-tu heureuse ?

— Oui… Planer, voler avec toi dans l’air pur ! ..

— Ellice, m’écriai-je tout à coup, n’es-tu pas réprouvée ? N’es-tu pas une âme en peine ?

— Je ne te comprends pas, murmura-t-elle, baissant la tête.

— Au nom de Dieu, je t’adjure,… commençais-je. Elle m’interrompit.

— Que me dis-tu là ? reprit-elle, comme si elle ne me comprenait pas. Je ne sais ce que tu veux dire. — Je crus sentir que la main froide dont elle me soutenait tremblait légèrement.

— N’aie pas peur, reprit-elle. Ne crains rien, ami. — Son visage se pencha sur le mien. Sur mes lèvres, je sentis une sensation étrange, quelque chose comme la piqûre d’un aiguillon émoussé,.. comme l’attouchement d’une sangsue qui ne mord pas encore.


VIII

Nous planions à une hauteur considérable. Je regardai en bas. Nous passions au-dessus d’une ville à moi inconnue, bâtie sur le