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mort, la mort et l’épouvante !… La tête me tournait, et de nouveau je fermai les yeux saisi d’horreur.

— Qu’est cela ? où sommes-nous ?

— Sur la côte sud de l’île White, devant les rochers de Black-gang, où bien souvent se perdent des vaisseaux, répondit Ellice avec une maligne expression de joie, à ce qu’il me sembla.

— Emporte-moi loin d’ici ! loin d’ici ! chez moi.

Je me pelotonnai en me couvrant les yeux. Il me sembla que nous volions avec plus de rapidité encore que tout à l’heure. Le vent était tombé, et pourtant je sentais dans mes habits, dans mes cheveux le frôlement de l’air. Je ne pouvais respirer.

— Mets-toi sur pied, me dit Ellice.

Je fis un effort pour reprendre mes esprits. Je sentais la terre sous mes pieds, et je n’entendais aucun bruit. Tout autour de moi paraissait mort ; mais le sang battait à mes tempes avec violence, et je sentais dans ma tête un tintement singulier. Peu à peu l’étourdissement se dissipa ; je me redressai et j’ouvris les yeux.


X

Nous étions sur la chaussée de mon étang. Droit devant nous, au travers d’une rangée de saules, on voyait une grande nappe d’eau au-dessus de laquelle flottaient quelques flocons de brouillard : — à droite, la verdure terne d’un champ de seigle ; à gauche, sortant de la brume, mon verger avec ses grands arbres immobiles et grisâtres. Déjà l’aube commençait à les atteindre. Sur le ciel pâle s’étendaient en raies obliques deux ou trois petits nuages qui semblaient dorés, atteints qu’ils étaient par le premier rayon de l’aurore, partant Dieu sait de quel point de l’horizon, car dans le blanc uniforme du ciel rien n’annonçait de quel côté le soleil allait se montrer. Les étoiles disparaissaient l’une après l’autre. Rien ne bougeait encore, et cependant déjà toute la nature semblait se réveiller dans un demi-jour aux teintes enchantées.

— Voici le jour, me dit Ellice à l’oreille. Adieu, à demain !

Je me tournai vers elle ; déjà elle avait quitté terre et s’élevait en l’air devant moi. Tout à coup je la vis porter ses deux mains au-dessus de sa tête. Cette tête, ces mains, ces épaules avaient revêtu soudain une couleur de vie, dans ses regards profonds brillaient des étincelles ; un sourire d’une mystérieuse mollesse se jouait sur ses lèvres rougissantes,… une charmante jeune fille m’apparaissait…. Cela ne dura qu’un instant. Comme saisie d’un éblouissement, elle se rejeta en arrière et fondit aussitôt telle qu’une vapeur. Quelque temps je demeurai stupéfait, immobile. Quand je fus en état d’observer, il