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humiliées, contrariées à chaque minute. On s’étudierait à heurter de front les penchans, les inclinations de chaque sexe. La nourriture des hommes resterait, autant que possible, dépourvue de toute agréable saveur ; l’instinct féminin serait froissé par l’austérité disgracieuse du costume. Aux résistances provoquées par ces combinaisons d’une minutieuse sévérité, on opposerait des châtimens rigoureux : les fatigues du thread-mill, les horreurs de la dark-cell, au besoin la camisole de force, ou même certaines variétés de « gêne » empruntées à l’arsenal des tortionnaires du moyen âge[1].

Tel était le système, pris dans sa généralité. Basé sur des données irréprochables, il n’a pas toujours répondu à ce qu’on attendait de lui. Dans le principe surtout, les traditions faisant défaut, un personnel inexpérimenté compromettait, par une application maladroite, des règles fort sages en elles-mêmes. Tant que la transportation fut admise par les colonies anglaises, sur qui la métropole se déchargeait du rebut de ses prisons, ces lacunes du régime pénitentiaire échappèrent à l’attention publique, et l’insouciance administrative ne s’en préoccupa sérieusement qu’à partir du jour où l’Australie, encouragée à cette espèce de rébellion par le foudroyant rapport du comité de 1838 (président sir William Molesworth), eut énergiquement protesté contre cette continuelle transfusion d’un sang vicié, qui altérait profondément le caractère de sa population et paralysait l’essor de sa naissante prospérité. Ce fut seulement en 1850 qu’elle obtint satisfaction ; deux ans plus tard, la terre de Van-Diémen fut à son tour affranchie de sa mission pénitentiaire, et si l’Australie occidentale, placée dans des circonstances exceptionnelles, n’avait sollicité comme un bienfait l’envoi de ces criminels repoussés successivement de tout autre rivage, la transportation n’existerait plus sur aucun point de l’empire britannique.

Dès que la nécessité d’en finir avec elle fut devenue évidente, les législateurs se mirent à l’œuvre. Différens actes du parlement (1853-57) constituèrent un nouveau mode de servitude pénale et lui appliquèrent, non sans y regarder à deux fois, le système des

  1. Nous pouvons citer entre autres, avec l’autorité d’un souvenir personnel, une sorte d’instrument employé, il y a une vingtaine d’années, dans la prison de Millbank ou dans celle de Pentonville. Il avait la forme d’un prie-Dieu. Les poignets du supplicié s’y trouvaient retenus dans une planche de chêne percée de deux trous à l’instar de la cangue chinoise ; une autre planche, formant tablette mobile, s’appliquait horizontalement sur sa poitrine, et, poussée en avant par un appareil mécanique, forçait le buste à reculer, les bras par conséquent à se tendre et à garder cette position contrainte. Après un certain temps, la fatigue et la souffrance devaient être poussées fort loin.