Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/889

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tickets of leave, pratiqué d’abord dans les colonies. Ce système qui permet, après un certain temps d’épreuve, l’affranchissement provisoire et conditionnel du convict moyennant une licence révocable et en attendant sa libération définitive, répond à deux nécessités différentes : il fournit, avec la récompense due aux efforts du prisonnier qui s’amende, le stimulant nécessaire, et diminue — dans une proportion d’autant plus forte que la condamnation a été plus sévère — les dépenses auxquelles la communauté se trouve assujettie de ce chef.

Comme l’ensemble du système pénitentiaire, les tickets of leave, recommandés par une saine logique et par une expérience qui paraissait décisive, sont devenus dans la pratique une source de graves inconvéniens. On comprendra qu’il ait dû en être ainsi lorsqu’on saura que l’autorité chargée d’appliquer cette mesure si délicate s’en servait surtout afin de diminuer l’encombrement des prisons, d’alléger les dépenses afférentes à leur entretien, et qu’après avoir facilité, multiplié au-delà de tout bon sens ces libérations provisoires, elle s’efforçait de soustraire à l’importun contrôle de la police, à ses tracasseries inquiétantes, le personnel suspect qu’on venait d’émanciper avant l’heure. La philanthropie officielle est allée en mainte et mainte circonstance jusqu’à interdire expressément aux gardiens de la sécurité publique toutes les mesures de précaution qui pouvait signaler aux méfiances de l’opinion le convict affranchi et disposé à cacher ses fâcheux antécédens. Préservé par là d’une surveillance incommode, couvert d’une inviolabilité exceptionnelle, ce malfaiteur émérite, s’il rentrait dans son ancienne carrière, s’y trouvait en quelque sorte privilégié. En le protégeant contre ses propres agens, en écartant de lui les soupçons qu’auraient infailliblement fait naître sa position mieux connue et le souvenir flétrissant de sa culpabilité passée, l’administration, devenue sa complice involontaire, lui facilitait le retour au mal, et pour un temps lui garantissait les bénéfices de l’impunité. La « révocation de licence, » seule arme dont elle restât pourvue contre lui, ne pouvait l’atteindre que lorsque tel ou tel acte, nettement défini, motivait cette mesure comminatoire. Or ces actes, lorsqu’ils n’éclataient point au grand jour, demeuraient nécessairement ignorés, les investigations secrètes de la police ne les signalant jamais. « Il n’est pas nécessaire, disait textuellement la licence, que le détenteur de la présente soit convaincu d’aucun nouveau délit. S’il fréquente notamment des personnes suspectes, s’il vit dans la paresse et dans le désordre, s’il n’a pas de ressources ostensibles, etc., on le présumera susceptible de retomber dans le crime, et une nouvelle arrestation le ramènera dans sa prison en