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suspensions de travail, regards curieux jetés sur la rue, etc., un total de douze cents coups de fouet. Seconde évasion, manquée comme la première et punie de la même peine, portée au double. Cette fois on l’enchaîne pour deux ans à une des roches de Goat-Island. Sa chaîne, longue de neuf-mètres, le retenait par le milieu du corps. Ses pieds étaient pris dans des entraves de fer. Une cavité creusée dans la pierre, à la mesure exacte de ses membres, lui servait de lit. Chaque soir, quand il s’y était étendu, on venait fixer sur lui un épais couvercle de bois, percé de quelques trous ; chaque matin, on le débarrassait de cet unique abri. Comme il était réputé dangereux, on poussait vers lui, à l’aide d’une longue perche, le vase qui renfermait ses alimens. Sous peine de recevoir les verges, ses compagnons de captivité ne pouvaient ni l’approcher, ni lui parler. Pour lui avoir donné quelques grammes de tabac à fumer, l’un d’eux, son ancien camarade d’équipage, reçut cent coups de fouet, bien comptés. Souvent les gens qui passaient en bateau, rasant la plage, lui jetaient, comme à un animal, quelques morceaux de pain ou de biscuit. Un simple haillon couvrait sa nudité. Son dos, ses épaules, si souvent déchirés par le fouet, restaient exposés à toutes les morsures du vent et du soleil. Dans ses plaies, qui s’étaient rouvertes, les vers se logeaient et multipliaient, par les temps chauds, sans qu’il pût obtenir un peu d’eau pour les laver. Seulement, s’il venait à pleuvoir, s’il se formait à sa portée quelques flaques boueuses, on le voyait s’y étendre et s’y vautrer avec une sorte de volupté mêlée d’angoisses horribles.

Les choses se passaient ainsi depuis quelques semaines, lorsque le gouverneur de la colonie, sir Richard Bourke, averti par quelques âmes charitables, vint s’enquérir de ce misérable. Leur conversation ne fut pas longue. « — Consentez-vous à travailler ? demanda le gouverneur. — Non, répondit le prisonnier. Travail ou paresse, les punitions sont les mêmes… » L’excellence, édifiée par ce langage, envoya le prisonnier finir ses jours à Macquarie. On y fabriquait la chaux sur une grande échelle. Anderson, les fers aux pieds, une hotte sur ses épaules nues, et transformé en bête de somme, portait cette chaux, du four où elle avait cui, jusqu’aux bateaux dont elle formait la cargaison. Une espèce de commandeur, préposé à ce travail, — un Français, paraît-il, nommé Antoine, — ne trouvant probablement pas cette tâche assez rebutante, y ajoutait de sinistres prédictions. — La chaux, disait-il, se combinant avec l’eau salée, devait infailliblement brûler à la longue les reins de son misérable subordonné… La prédiction se réalisa, l’épiderme disparut ; la chair, mise à vif, devint le siège de tortures atroces. Le captif, une fois encore, tente d’échapper à ce long supplice. Il