Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/917

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un emprisonnement à long terme, le seul qui se prête à la réforme du condamné.

Toutes ces modifications futures, tous ces perfectionnemens espérés de la pénalité actuelle ne peuvent être demandés qu’à l’action gouvernementale. La société cependant a un rôle bien autrement essentiel, et dispose de remèdes plus efficaces. A l’état, à l’autorité publique d’améliorer, de moraliser la punition ; à tous et à chacun la mission plus haute de prévenir le crime, de l’étouffer à son berceau. Ces profondeurs obscures où se recrute l’armée du mal, il faut y pénétrer, y porter la lumière, en purifier l’atmosphère viciée. Les grandes villes recèlent, en trop grand nombre hélas ! des maisons, des familles où s’élève, se forme, se développe la population spéciale qu’on retrouve plus tard au sein des prisons de tout ordre. Liverpool, à elle seule, — les rapports officiels en font foi, — ne renferme guère moins de quinze cents habitations (1,473) suspectes à la police et spécialement désignées à sa vigilance. On y compte par milliers, — et leur nombre va croissant toujours[1], — ces infractions de simple police qui annoncent et préparent de plus graves délits. C’est là surtout qu’il est utile, qu’il est indispensable de porter au plus tôt les remèdes dont on dispose : des crèches, des asiles, des écoles, tant primaires qu’industrielles, pour l’enfance abandonnée ou corrompue à plaisir ; des établissemens de correction (reformatory institutions) pour celle qu’on a déjà poussée à mal faire ; une guerre acharnée à l’ignorance, à l’ivrognerie, à tout ce qui trouble, obscurcit, égare, dégrade, abrutit, énerve la raison et la conscience. Il y a là tous les élémens d’une croisade, d’un « mouvement » comme celui dont le capucin Theobald Matthew se fit naguère l’apôtre, et qui lui a valu des statues.

La réforme par la prison, quelle triste chance et quelle œuvre difficile ! que de courage, de zèle, d’habileté, de dévouement dépensés fréquemment en pure perte ! quel engin coûteux, maniable seulement par des hommes d’élite, et toujours prêt à s’arrêter, à se briser si l’intelligente charité de ces hommes vient à lui faire défaut ! Il n’y faut donc compter, il n’y faut recourir qu’en désespoir de cause et comme sur une ressource transitoire, une expectative plus ou moins satisfaisante. Le but réel n’est pas d’adoucir, d’épurer, de moraliser la prison, c’est de la dépeupler graduellement, de s’en passer un jour, si les desseins de Dieu le permettent.


E.-D. FORGUES.

  1. 12,730 en 1861, 17,265 en 1864.