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Pro Dea ! ce Sainte-Pazanne était un païen comme tant d’autres seigneurs de cette cour raffinée, tout italienne, des Valois, pour qui le sang des Médicis, en coulant dans leurs veines, devint un si sûr poison du corps et de l’âme ; il vivait au sein de cette férocité amoureuse et de cette préciosité barbare qui étaient la mode souveraine dans les demeures royales des bords de la Loire, et celle qu’il aimait n’était peut-être bien qu’une de ces femmes hardies et sveltes que Jean Goujon a copiées, des Dianes et des louves, comme la dame de Châteauneuf, qui avait tué un de ses amans et son mari de sa main ; mais, n’importe, il l’avait aimée, et si peu qu’elle méritât un tel amour, il ne lui en avait pas moins élevé un temple, il l’avait refaite grande et pure dans le sanctuaire de son cœur ; elle lui paraissait divine, il l’avait placée au ciel : Pro Dea ! Et Martel VI, lui aussi, pouvait dire maintenant : Pour ma déesse ! Il murmura en souriant : Je relèverai cette devise, puis il entra dans la forêt. La brume, chassée du ciel par les premiers rayons, perçait le dôme des arbres et se réfugiait sous le couvert du bois. Il lui sembla distinguer une forme blanche qui glissait sous les feuilles et il se souvint de la robe légère que Violante portait quelquefois. L’illusion pendant un moment fut entière ; c’était Violante elle-même, il la voyait. La forme enchanteresse tantôt paraissait raser le sol, tantôt s’élevait dans l’air ; elle passait devant les yeux éblouis de Martel, le fuyait à travers les branches, puis revenait encore plus près de lui quand il la croyait le plus loin ; il se sentait enveloppé d’elle.

Et ainsi entendait-il vivre bientôt, et jusqu’à la fin, enveloppé de sa présence, pénétré de la fortifiante lumière qui se dégageait de sa beauté chaste et sereine, près d’elle, à elle, dans une étroite union de l’âme, de la pensée, des yeux… et dans l’illusion du reste. Les joies ardentes de la passion n’étaient pas faites pour lui, celles de la possession moins encore. Violante devait vivre à ses côtés et n’être sa femme que de nom. Il avait passé la nuit entière à mûrir une résolution qui lui semblait vraiment grande et belle. L’abbé, qui avait veillé près de lui, connaissait déjà cette résolution et ne l’approuvait point ; mais que faisait à Martel la désapprobation de l’abbé ?

Il sortait de ce long combat, fort comme un homme qui va tromper la destinée, n’espérant plus la vaincre. Vienne maintenant la déesse ! Il pourrait laisser couler désormais à ses pieds les jours qui lui restaient, il pourrait noyer ses regards dans les clartés de ce beau visage, bien sûr qu’il ne se flétrirait point par sa faute. Il pourrait se dire : Elle est à moi autant que je l’ai voulu, j’ai su ne rien demander davantage ; elle se dévouait tout entière à mon salut, mais je n’ai pris que l’âme… Ainsi finiront les malheurs de ma