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LES SEPT CROIX-DE-VIE.

jours de précautions et de formes vaines : elle avait dès le lendemain proposé en riant de passer outre ; mais, si épris qu’il fût du vieux temps, M. de Bochardière tenait fort à ce que sa fille fût mariée, et bien mariée, suivant la loi du temps présent, qui est la bonne, et il n’avait point entendu ce badinage. La douairière du moins s’attendait à voir son fils ne plus quitter la route de Bochardière. Cette route, il ne l’avait pas prise une seule fois, il n’était pas allé une fois au manoir. Le troisième jour, il avait chassé ; le neuvième jour, chasse encore et commandé pour le lendemain une battue aux loups. Or le lendemain était arrivé.

En route, en route ! c’est la chasse. Les trompes sonnent, la meute fait rage dans le chenil. Il était encore nuit noire quand les gens de Croix-de-Vie partirent sous la conduite de deux piqueurs qui menaient chacun un limier. Une louve et ses louveteaux avaient été détruits le mois précédent dans les bois de Sainte-Marie, de l’autre côté de la rivière, et dans le bois de l’Étendard, presque tout en taillis, on signalait le loup. Au soleil levant, on découvrit le train de la bête, près d’une mare, dans la fange. Les piqueurs alors, caressant leurs limiers, les conduisirent sur la voie. Les paysans mettaient les brisées en silence, car le loup était vieux et subtil, et peut-être bien écoulait-il au bordage du bois. L’un des deux chiens quêtait, le poil hérissé, la gueule sanglante ; l’autre au contraire allait le nez haut à travers les ronces. Soudain ils donnèrent en môme temps de la voix tous les deux. Il y avait là un rembuchement frais dans un gros buisson. En route, en route ! Les paysans, armés de bâtons pointus comme des épieux, se dispersèrent et cernèrent cette partie du bois en criant de toutes leurs forces pour arrêter la bête, si elle hasardait une sortie.

Un groupe de chasseurs à cheval apparut dans le taillis. Celui qui galopait en tête était si grand que sa casquette de chasse dépassait la pointe des jeunes arbres de six ans. Cette casquette ombrageait un visage que sa couleur de brique cuite faisait reconnaître à plusieurs lieues à la ronde ; c’était le maître des Aubrays, que les paysans d’alentour respectaient comme on respecte la fièvre quarte ou le feu du ciel. Il était accompagné de quelques gentilshommes campagnards dont il était le mauvais voisin. Point de battue aux loups sans M. des Aubrays, qui s’intitulait lieutenant de louveterie dans la province. Pourquoi ? Tout le monde l’ignorait. Il prétendait tenir ce titre de l’administration des forêts comme il l’aurait jadis tenu du roi ; il faut se plier au cours des choses. Si encore il ne s’était appelé que louvetier suivant la mode nouvelle ! Cette prétention n’en avait pas moins fini par prévaloir ; on invitait le maître des Aubrays à toutes les chasses, parce que les abus deviennent aisément des usages, et, chassant le loup avec le mar-