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LES SEPT CROIX-DE-VIE.

reçu comme le serait la foudre, si elle ne commençait pas par tuer les gens, leur ôtant ainsi tout moyen de se défendre. La nuit, qui porte conseil, ne lui avait pas apporté celui d’être plus modeste en la joie. Il montrait en entrant une si fière tournure que sa nouvelle et terrible alliée avait bien été tentée de lui demander s’il ne prenait point Croix-de-Vie pour sa propre maison ; après quoi, comme il lui proposait d’aller tous deux de compagnie au-devant de leurs enfans qui se promenaient dans les jardins, elle lui avait répondu nettement qu’elle entendait bien y aller, mais seule. C’est ce qu’elle faisait en ce moment, et de quel pas !

Ils s’avançaient aussi vers elle, Violante armant son cœur contre son cœur même, le front haut comme toujours, regardant les nuées que perçait alors un rayon de soleil, le marquis frémissant encore de tout ce que Violante venait de lui faire sentir, et ne regardant qu’elle, et sa taille de reine, et son petit pied qui, sortant des plis de sa jupe, battait le sable, et cette main aux doigts de fée qu’il avait tenue dans les siennes. Peut-être avait-il oublié que sa mère approchait ; Violante en eut la pensée, elle le lui rappela encore à voix basse, et il releva les yeux avec effort. Alors il se passa une chose que la douairière n’attendait point. Violante la salua d’un tranquille sourire, et ce fut Martel qui rougit. Mme de Croix-de-Vie se mordit les lèvres, et l’esprit de son siècle faillit la reprendre ; heureusement elle se souvint de la gravité de la tâche qu’elle allait remplir, et son cœur devint pour un moment aussi sérieux que son visage.

— Mon fils, dit-elle, toute la noblesse des environs envoie complimenter notre épousée. Il n’est pas jusqu’à notre grand ami M. des Aubrays qui ne s’en mêle, et il vient de se présenter en personne. J’ai dit que nous ne le verrions point.

— Ma mère ! s’écria Martel, de grâce épargnez-nous complimens et visites, et surtout celle de cet homme que je n’aime pas.

— Oh ! que oui, fit la douairière, je ne suis point si cruelle que de livrer deux beaux amoureux tout neufs en proie à tant de fâcheux. Celui-ci insistait pourtant. Voyant que décidément on ne voulait point le recevoir, il a dit qu’il espérait bien être plus heureux un autre jour…, le jour où naîtra le onzième marquis de Croix-de-Vie.

Martel tressaillit, la douairière ne regarda point Violante ; mais lui posant doucement la main sur le bras : — Quatre Robert, six Martel ; — l’ange qui viendra au monde sera bien le onzième marquis, dit-elle, le trente et unième seigneur. Ma fille, c’est là une pensée à laquelle il faut s’accoutumer dès la première heure. Je vous parle d’une félicité qui nous coûte toujours bien des douleurs et bien des