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tous ses approvisionnemens de l’étranger. Ces deux alcalis étaient obtenus de temps immémorial soit en récoltant le natron durant l’évaporation d’eaux alcalines dans des lacs peu profonds, soit en brûlant certaines plantes cultivées sur les bords de la mer et en recueillant l’alcali contenu dans les cendres. Le natron est un carbonate de soude cristallisé ; certaines eaux contenant de la soude carbonatée en dissolution le laissent déposer en s’évaporant. On trouve des lacs formés de ces eaux et donnant, pour ainsi dire, la soude d’eux-mêmes en Égypte, en Hongrie, en Russie, aux Indes, au Thibet, au Pérou. Les cendres des végétaux contiennent aussi des alcalis ; si les végétaux ont grandi sur les plages maritimes, la soude domine dans ces cendres ; la potasse s’y trouve presque seule au contraire quand ils ont grandi dans l’intérieur des terres. On séparait l’alcali en lavant ces cendres : l’eau dissolvait la potasse ou la soude et l’entraînait avec elle, et l’on pouvait alors soit utiliser directement cette eau alcaline pour le lessivage du linge, soit, en la filtrant et la soumettant ensuite à l’évaporation, recueillir l’alcali en masses compactes ou granulées, blanches, rosées ou bleuâtres. Le natron était la première source de soude, l’incinération des végétaux marins la seconde. Les soudes brutes de cette deuxième provenance étaient connues dans le commerce sous les noms de soudes d’Alicante, de Ténériffe, d’Espagne, de Narbonne, etc. Les désignations seules indiquent combien le marché français, pour les approvisionnemens de soude, était dans la dépendance de l’étranger. Il existait bien un troisième moyen d’avoir de la soude ; en traitant les cendres, non plus des plantes croissant sur le bord de la mer, mais des plantes croissant dans le lit même des flots, — algues, fucus ou varechs, — on obtenait un produit appelé soude brute de varech, très pauvre en soude, très riche en composés salins, et qui fut de bonne heure employé à la fabrication du verre, pour laquelle la multiplicité des sels mélangés dans la pâte en fusion n’est pas une condition défavorable.

Tels étaient, en ce qui concerne la production de la soude, les immenses besoins et les ressources indigènes à peu près nulles de notre industrie au moment où commença la révolution française. Mise au ban des nations, frappée d’interdit par l’Europe coalisée, la France vit bientôt tarir toutes les sources qui alimentaient la richesse nationale. Ce n’était pas seulement la soude qui lui faisait défaut, c’étaient tous les corps chimiques dont la science était parvenue à tirer parti pour un usage industriel et commercial, c’étaient aussi tous ceux qui étaient indispensables pour les engins de guerre : le salpêtre, le soufre, avec lesquels on fait la poudre, le fer et le bronze des armes à feu. Nos arsenaux et nos poudrières se