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extrême défiance. La routine consent difficilement à changer ses habitudes, et toute nouveauté lui semble à priori suspecte. C’est de la même façon qu’un autre produit d’une de nos belles industries nationales issues du malheur des blocus pendant la république et l’empire, le sucre de betterave, fut longtemps regardé comme possédant des propriétés saccharines beaucoup plus faibles que le sucre des colonies, auquel il est devenu en réalité identique par l’épuration complète. Il en fut de même pour le carbonate de soude artificiel. Toute une corporation d’acheteurs de soude, les blanchisseurs, refusa de s’en servir. On l’accusa de brûler le linge, de donner des lessives trop fortes ; peut-être ne serait-il pas impossible de trouver encore aujourd’hui des blanchisseries où cette doctrine est regardée comme indiscutable. Qu’y a-t-il pourtant de fondé dans ces reproches ? Nous pouvons le dire avec précision, car ils ont fourni l’occasion de la découverte d’une science nouvelle, la science des essais manufacturiers, avec le concours de laquelle nous pouvons les discuter complètement. Vauquelin montra d’abord que, artificielles ou naturelles, les soudes brutes ou raffinées sont très différentes les unes des autres au point de vue de la proportion de principes utiles, c’est-à-dire de soude et de carbonate de soude, qu’elles renferment. Les soudes brutes contiennent, outre des sels neutres solubles, du carbonate de chaux, des parcelles de charbon, quelques corps étrangers accidentels. Dans le blanchiment, la fabrication des savons, la soude et le carbonate de soude importaient seuls ; dans les verreries, les autres corps n’étaient pas absolument nuisibles à la fabrication des verres communs à bouteilles, mais ils étaient sans valeur, et constituaient même un excédant fâcheux de poids. Vauquelin proposa un premier moyen pour reconnaître la teneur en alcali d’un poids donné de soude : c’était de le dissoudre et de neutraliser la dissolution au moyen d’un acide, en ayant soin de déterminer le poids de l’acide employé. Ce procédé était assez expéditif ; il exigeait cependant deux pesées et quelques opérations délicates qu’un opérateur exercé pouvait seul accomplir avec exactitude. Un manufacturier-chimiste de Rouen, Descroizilles, a rendu à l’industrie le très grand service d’indiquer une méthode volumétrique beaucoup plus simple, dont on peut faire usage dans le moindre atelier, et qui a rendu générale, même chez beaucoup de petits commerçans et industriels, l’habitude de se rendre toujours compte, au moment de l’achat, de la valeur alcaline des produits achetés, c’est-à-dire de la quantité exacte de potasse et de soude qu’ils contenaient. Dès lors les applications des soudes brutes et raffinées se multiplièrent, et les relations entre les producteurs, les négocians et les consommateurs, reposant sur des bases certaines, devinrent régulières et loyales. Les cours s’établirent avec facilité,