Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/993

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fébrile, c’étaient les âmes malades qu’exaltait et fatiguait une civilisation raffinée, qui éprouvaient le besoin de croyances nouvelles. Encore est-il possible que ce besoin se fût éteint de lui-même, s’il n’avait été alimenté et nourri par les cultes orientaux que tant de gens pratiquaient à Rome et qui leur communiquaient cette avidité d’émotions religieuses, ce goût de l’inconnu et de l’indéterminé, ces élans mystiques, cette dévotion passionnée, que jusque-là les peuples de l’Occident avaient peu connus. C’est sur ce sol tourmenté que le christianisme prenait facilement racine. Or ces conditions favorables à son établissement ne se trouvaient pas en Gaule. La conquête romaine y était récente, et il est probable que, dans les campagnes surtout, elle n’avait que recouvert, sans l’effacer, l’ancien esprit national. L’Orient avait moins de rapports avec la Gaule qu’avec l’Italie ; le mysticisme n’a jamais été son génie naturel ; elle était donc moins bien disposée pour le christianisme, et il n’est pas étonnant qu’il ne s’y soit établi qu’assez tard. Nous ne serons pas surpris non plus qu’il ait suivi, pour y pénétrer, sa route ordinaire, qu’il se soit répandu d’abord dans les grands centres industriels, où s’échangent les idées aussi bien que les marchandises, dans les villes de passage situées au bord de la mer ou le long des fleuves, traversées par des gens de tous les pays, et que ce contact familiarisait d’avance avec toutes les nouveautés. Marseille et Arles, restées à moitié grecques et visitées sans cesse par les étrangers, Vienne, placée sur le chemin de tous ceux qui allaient dans la Belgique, la Bretagne ou la Germanie, Lyon, dont le commerce s’étendait si loin qu’on a retrouvé dans cette ville les tombes d’un armateur de Pouzzoles, d’un marchand de Carthage et d’un négociant arabe, devaient être naturellement ses premières conquêtes.

C’est bien ainsi que les choses se sont passées ; les inscriptions le prouvent. Les pays que le Rhône traverse et qu’il relie à la Méditerranée, la première Lyonnaise, la Viennoise, l’ancienne province romaine, sont ceux qui ont conservé les monumens chrétiens les plus antiques. N’en peut-on pas légitimement conclure qu’ils furent conquis avant les autres par le christianisme ? Mais ces monumens eux-mêmes sont bien récens quand on les compare à ceux de Rome. On a trouvé dans les catacombes une inscription de l’an 71, c’est-à-dire du commencement du règne de Vespasien. La plus ancienne inscription datée de la Gaule est de l’an 334, de l’époque où le christianisme venait de triompher avec Constantin. A la vérité, quelques-unes de celles qui ne portent point de date remontent plus haut. Une d’entre elles, gravée sur une tombe brisée de Marseille, rappelle par la façon dont elle est rédigée celles des catacombes. On y lit ces mots : « A Sentrius Volusianus, fils