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monogramme du Christ, il fallut bien la modifier. L’église le comprit et vint résolument au secours de l’état en péril. Un concile retrancha de la communion des fidèles ceux qui se croyaient le droit de jeter leurs armes ; mais il était plus facile de faire le mal que de le réparer. Ce concile ne dut pas convaincre tout le monde. La doctrine ancienne, qu’on n’oubliait pas, combattait la décision nouvelle et en affaiblissait l’autorité. « Les actes des saints et des martyrs, dit M. Le Blant, étaient tus publiquement aux offices. Ces édifians récits que le fidèle écoutait debout, comme l’Évangile même, lui disaient la vertu de saint Martin refusant de se battre, celle de Tarachus abandonnant l’armée par respect pour la foi, l’héroïsme de Maximilien, qui, repoussant comme chrétien la marque militaire, paya de sa vie une noble résistance. Par ces exemples sans cesse proposés à son admiration dans les leçons des pères, le fidèle apprenait que la guerre était une œuvre maudite. » Était-il étonnant qu’il hésitât, quand l’église elle-même, revenant sur ses anciens principes, lui ordonnait de combattre ? Entre ces ordres nouveaux et ces enseignemens du passé, beaucoup d’âmes devaient être inquiètes et indécises, et il arriva que d’invincibles scrupules privèrent l’empire d’un grand nombre de ses défenseurs. C’était pour lui une nouvelle cause de ruine ajoutée à tant d’autres ; il n’y résista pas. L’affaiblissement de l’esprit militaire qui suivit l’établissement du christianisme a certainement avancé les derniers jours de l’empire. Nous nous en consolons aujourd’hui très facilement, nous pensons que l’humanité a plus gagné que perdu à sa chute ; mais on conçoit que les empereurs ne pouvaient pas raisonner comme nous et prendre si philosophiquement leur parti. Ils auraient été coupables de se résigner de gaîté de cœur à voir périr une société qui leur avait confié sa défense. S’ils avaient le sentiment des dangers que la nouvelle religion faisait courir à leur pays, il n’est pas étonnant qu’ils se soient si obstinément opposés à son triomphe, et leur haine s’explique aussi facilement que celle du peuple.

Les inscriptions chrétiennes sont encore plus utiles pour l’histoire de l’église que pour celle de l’empire. Elles nous font voir comment le dogme se précise et s’achève. Sans doute elles nous apprennent beaucoup moins que les livres, elles sont sobres de détails, et leurs courtes formules ne permettent que d’entrevoir les choses dont elles veulent parler ? mais elles ont cet avantage au moins, qu’on ne peut récuser leur témoignage. Les livres sont sujets à s’altérer quand on les transcrit ; on peut les changer pour les mettre en harmonie avec les opinions nouvelles, et les doctrines les plus sincères ne se sont pas toujours interdit ce moyen commode de triompher. Les mots gravés sur le marbre ou la pierre ne se