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vigoureuses, saines, bien complemennées, avec sages et prudentes gouvernantes, et semblablement aussi à les faire instituer et enseigner par bons et doctes précepteurs, tant en vertus et saines doctrines, comme en l’amour et crainte de Dieu. »

Comment Catherine de Médicis supportait-elle cette usurpation de ses droits et de ses devoirs de mère, cet insolent partage de sa dignité conjugale, cette espèce de ménage à trois dont le scandale était public? Elle acceptait ce triomphe de Diane, parce qu’en réalité elle n’avait pas d’amour pour le roi. Il s’était fait d’ailleurs entre Diane et la reine une ligue tacite, et c’était un triste spectacle que la feinte amitié dont ces deux femmes ambitieuses se prodiguaient les marques extérieures. Lorsqu’il avait été question de divorce, Diane, qui aurait redouté pour son amant une épouse plus séduisante, avait intercédé en faveur de Catherine, et de son côté Catherine, qui n’aurait peut-être pas trouvé autant d’égards dans une autre maîtresse, témoignait à Diane tous les dehors de l’amitié. C’est ainsi que l’intérêt réunissait ces deux femmes dont la passion aurait pu faire d’irréconciliables rivales; mais dans l’atmosphère des cours les combinaisons de l’ambition et de l’intrigue ne savent-elles pas prévaloir sur les instincts du cœur et les sentimens de la nature? Nous trouvons donc toujours Diane à côté de Catherine. Elle lui permet de donner des enfans au roi; elle l’assiste dans ses couches, dans ses relevailles; elle la soigne dans ses maladies. Elle va même jusqu’à se faire écrire par le médecin de la famille royale : « Sans votre diligence et bonté d’esprit, la reine estoit jà presque désespérée; mais Dieu prospéra si bien vos efforts et exauça vos prières que finalement elle recouvra santé. » Ajoutons que ces soins étaient largement payés. Par une lettre signée à Blois le 17 janvier 1550, Henri II donnait à Diane 5,500 livres tournois (environ 66,000 francs de notre monnaie), « en faveur, disait-il, des bons, agréables et recommandables services qu’elle a ci-devant faits à notre très chère et très aimée compagne la reine. » Ainsi donc l’insatiable maîtresse faisait argent de tout, même des maladies de Catherine de Médicis! Le désordre du ménage royal se trouvait régulièrement organisé, et rien n’égalait l’adulation des courtisans devant l’adultère manifeste, si ce n’est la longanimité systématique de l’épouse outragée. Lorenzo Contarini écrivait en 1552 : « La reine ne pouvait souffrir dès le commencement de son règne un tel amour et une telle faveur de la part du roi pour la duchesse; mais depuis, sur les prières instantes du roi, elle s’est résignée, et elle supporte avec patience. La reine fréquente même continuellement la duchesse, qui de son côté lui rend les meilleurs offices dans l’esprit du roi, et souvent c’est elle qui l’exhorte à aller dormir avec la reine. »

Cette espèce de courtoisie de Catherine de Médicis et de Diane de Poitiers l’une pour l’autre fait songer à Marie Leczinska et à Mme de Pompadour. Marie Leczinska, comme Catherine, accepta son sort sans murmurer.