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Une pierre incandescente était tombée sur le pont, qu’elle avait percé, et avait mis le feu à la cabine du mécanicien; plusieurs matelots et un sous-officier avaient été atteints, le dernier assez gravement à la tête en éteignant ce commencement d’incendie; M. Palaska, qui était à l’origine de l’explosion occupé sur le bord de la mer à des mesures trigonométriques, avait été blessé grièvement à la main. Enfin M. Vallianos, capitaine du bateau marchand amarré à la côte de Nea Kameni, venait d’être frappé à la tempe par une pierre qui l’avait étendu mort sur le coup. D’autres pierres incandescentes avaient mis le feu à son bâtiment, et ses matelots effrayés s’étaient sauvés à la nage à Micra Kameni, après avoir déposé son corps dans une des maisons abandonnées de Nea Kameni.

On comprend aisément combien toutes ces circonstances durent troubler la population de l’île. L’émigration recommença de nouveau. Les établissemens d’éducation dirigés par les sœurs de charité et les lazaristes français, qui comptaient un grand nombre d’élèves, devinrent déserts, et personne n’osa plus se risquer dans le voisinage du lieu de la catastrophe. Nous manquerions donc complètement de renseignemens sur ce qui s’est passé depuis le 20 février jusqu’au jour de notre arrivée, si un navire de guerre autrichien, la Reka, n’était venu stationner dans la rade au commencement du mois de mars. Nous savons par les officiers de ce bâtiment, qui plusieurs fois sont descendus à Nea Kameni, que dans cet intervalle de temps les détonations ont été fréquentes, mais faibles, et qu’il n’est survenu aucun phénomène qui mérite une mention spéciale. La Reka s’est tenue pendant plus de quinze jours au milieu de la rade, à peu de distance de Micra Kameni, en un point que l’on nomme le Banc. A côté d’elle sont venus se placer une frégate turque et un bateau à vapeur grec, le Syros. Le banc sur lequel se sont amarrés ces trois bâtimens n’est autre chose que le sommet d’un ancien cône volcanique qui ne s’est jamais élevé jusqu’au niveau de la mer. L’étendue en est peu considérable et néanmoins suffisante pour permettre à sept ou huit navires d’y séjourner; partout ailleurs, la baie est beaucoup trop profonde pour qu’on puisse jeter l’ancre.

Depuis le commencement du mois de mars et pendant les trois mois qui ont suivi, nous avons observé pour ainsi dire jour par jour les diverses phases de l’éruption. Le 12 mars, nous trouvâmes le quai construit en 1865 par la municipalité de Santorin à fleur d’eau dans la partie moyenne, complètement submergé à l’extrémité méridionale, effondré et crevassé sur presque tous les points. Les maisons qui le bordaient avaient toutes plus ou moins souffert; quelques-unes étaient simplement lézardées; le plus grand nombre étaient complètement renversées, il n’en restait debout que des pans de murailles. L’une d’elles, qui se trouvait à la pointe du quai vers le sud-ouest, était presque entièrement plongée dans l’eau. Les deux églises, situées en arrière et plus rapprochées du volcan, avaient surtout été maltraitées par les projectiles. L’église grecque, à peine éloignée de quatre ou cinq mètres du pied de l’île George, avait eu le toit traversé par une