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tre l’Autriche, il est incontestable que l’Autriche eût reculé devant une lutte si inégale, il est certain qu’il n’y eût pas eu de guerre. Or c’était avant tout la guerre que voulaient les furibonds illuminés aujourd’hui convertis à la paix, et leur espoir visible était que la France serait conduite par la force des choses à s’en mêler tôt ou tard.

Nous recevons d’un autre quartier des admonitions qui, pour n’être pas mieux fondées, sont cependant plus instructives. Celles-ci nous viennent de la presse anglaise et notamment du Times. Les résultats de la guerre d’Allemagne ont inspiré au grand journal anglais une véritable ivresse de gaîté. Depuis que la Prusse agrandie ou l’Allemagne unifiée lui montre au centre de l’Europe l’organisation d’un empire capable de balancer la puissance militaire de la France, le Times ne se tient pas de joie. C’est sur nous, sur les libéraux français, qui, après avoir blâmé la présente révolution dans ses causes, la déplorent dans ses premiers effets, que le Times verse les flots de sa gaillarde humeur. Le Constitutionnel s’est allié au Times avec une adorable candeur, pour reproduire dans notre langue cette satire enjouée, non pas des ambitions de la France, mais des plus étroites exigences de notre sécurité. L’ironique Anglais se répand en louanges plaisantes sur le désintéressement de la politique française; les traités de 1815, ce n’était pas pour elle-même que la France les haïssait, c’était par sympathie pour les peuples étrangers que ces traités avaient mutilés et opprimés. La France n’avait pour elle-même aucun sujet de s’en plaindre; on l’avait entourée de petits états bien vite dominés par son influence morale. La France sentait qu’elle n’avait aucun voisin capable de l’inquiéter, aucun qu’elle ne fût à même d’intimider à l’occasion. La France, par une sublime abnégation, a changé tout cela. Grâce à elle, les traités de 1815 ont cessé d’exister. De nouveaux arrangemens européens placent à côté d’elle deux nobles nations qui peuvent être des amies utiles, mais qui deviendraient aussi au besoin des ennemies redoutables. Dans sa prudence généreuse, la France s’est donné ces deux garde-fous. Quel motif de se plaindre ont donc les libéraux de notre école? Nous ne sommes pas des hommes raisonnables, nous sommes des déclamateurs. Le Times veut bien nous promettre la prédominance qui s’exerce par les arts, le goût, la mode; un mot de plus, et il allait nous garantir que nous ne serons jamais dépassés dans cette production élégante que le commerce appelle l’article de Paris! Ressuscitant M. Dupin, il nous rappelle au « chacun chez soi, » et tourne vers la gloire de vivre nos illusions disciplinées. Voilà comment le pacifique tant mieux d’Angleterre finit par tomber d’accord contre nous avec les pacifiques tant pis de l’Opinion nationale.

La philanthropie ahurie et larmoyante des uns, la bonhomie persiflante des autres ne réussiront point à donner le change sur les dispositions d’esprit avec lesquelles les patriotes vigilans ont abordé en France l’examen de l’état de choses créé par la guerre d’Allemagne. Il n’y a point eu