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et le péril des prétentions exagérées. La cour de Berlin a donné une autre marque d’habileté en convoquant le parlement et en associant tout de suite la représentation du pays à l’œuvre nationale achevée par la diplomatie et par l’armée. A nos yeux, les passages les plus saillans du discours royal sont ceux où le souverain, reconnaissant les infractions commises par lui à la constitution, a demandé pour le passé un bill d’indemnité et a promis que, dans l’avenir, la constitution serait toujours respectée. Cet hommage rendu par le roi à la règle constitutionnelle et à la juste prérogative de la chambre n’est point, si l’on veut, une garantie absolue; ce serait pourtant avoir l’esprit trop chagrin que de refuser d’y voir un bon augure pour l’avenir des institutions libres. Au surplus la chambre n’a point tardé à montrer son indépendance opiniâtre. La chambre, en Prusse, nomme son président elle-même. Tout radieux de ses triomphes, M. de Bismark n’a pu cependant réussir à faire arriver son candidat à la présidence. La majorité a choisi son président dans les rangs du parti progressiste. Tout annonce donc que l’influence de la chambre représentative va grandir en Prusse; des optimistes vont même jusqu’à promettre que M. de Bismark ne tardera point à épouser les opinions libérales. Cette conversion de M. de Bismark serait la plus agréable des surprises qu’il aurait données au monde. Si ces présages favorables au libéralisme venaient à se réaliser, la Prusse, en matière de politique intérieure, prendrait sur nous une avance marquée; voilà surtout la supériorité pour laquelle nous lui porterions le plus d’envie.

Quand on en viendra à considérer la position de la Prusse au point de vue des intérêts fédératifs de la France, une question qui présentera un grand intérêt et qui devra être mûrement pesée sera celle des rapports nouveaux de la Prusse avec la Russie. Les changemens qui ont lieu en Allemagne ne peuvent manquer d’affecter considérablement la position de la Russie en Europe. Il serait possible que tout le système fédératif de la Russie en fût bouleversé. Qu’on y songe, c’est par ses alliances de famille contractées avec les dynasties régnantes des petites cours allemandes, c’est surtout par la fidélité avec laquelle la Prusse lui a été unie pendant un siècle, que la Russie avait pris la grande place qu’on l’a vue occuper dans les affaires de l’Europe centrale. Les médiations qui vont s’effectuer, celles qui se préparent pour l’avenir, enlèveront à la Russie la moitié de son terrain en Allemagne; l’agrandissement de la Prusse lui fait perdre l’autre. Sans doute l’union des dynasties restera étroite entre Berlin et Pétersbourg; mais, devenue plus forte, la Prusse sera plus indépendante et sera plus libre dans le choix des alliances : la cour de Pétersbourg ne trouvera plus en elle les mêmes prévenances et la même docilité. Il serait possible que la diplomatie russe laissât déjà percer son chagrin, qu’elle fit des efforts dans la prochaine réorganisation de l’Allemagne pour défendre la conservation des petites cours où l’empereur Nicolas distribuait les plaques russes avec tant de profusion; un premier antagonisme s’élèverait