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REVUE DES DEUX MONDES.

Le « Commentaire sur Jérémie » doit certainement être considéré comme une production de l’école sortie de l’ordre de Saint-François qui, ainsi qu’on le verra bientôt, chercha vers le milieu du XIIIe siècle à se prévaloir du nom de Joachim pour faire triompher ses doctrines. Les idées des joachimites franciscains s’y retrouvent à chaque page. L’année 1260, conformément aux théories de cette école, est donnée comme le terme de la grande affliction, qui clora le règne du Christ et ouvrira celui du Saint-Esprit[1]. Les allusions aux deux grands ordres mendians, dont on voulait que Joachim eût annoncé l’institution future, reviennent fréquemment. Enfin, comme si le parti qui prêtait ses opinions à Joachim eût craint que des pensées exprimées d’une façon énigmatique n’atteignissent pas suffisamment le but qu’il se proposait, quelques adeptes de ce parti prirent soin d’expliquer les passages obscurs dans un opuscule qui nous a été conservé, au no 836 de Saint-Germain, sous ce titre : Verba quœdam de dictis Joachim abbatis explanativa super Jeremiam. Là chaque anathème porte son adresse, et à chaque menace est appliqué un nom propre.

Notre démonstration sera portée au comble de l’évidence quand on verra la place importante que tiennent ces productions apocryphes dans l’école de l’Évangile éternel. La Chronique récemment publiée[2] de frà Salimbene, franciscain du XIIIe siècle, nous fournit à cet égard de précieuses lumières. Le commentaire de Joachim sur Jérémie y est souvent cité. Salimbene en eut pour la première fois connaissance en 1248[3]. La brouille irréconciliable de Frédéric II avec le parti italien et pontifical ayant commencé vers 1239, l’époque de la rédaction du « Commentaire sur Jérémie » est ainsi fixée entre des limites assez étroites.

On a imprimé plusieurs fois à Venise et on trouve dans quelques manuscrits[4] sous le nom de Joachim des commentaires sur Isaïe, Ezéchiel, Daniel et les petits prophètes. Ces ouvrages prêteraient aux mêmes observations que le commentaire sur Jérémie. On ne peut croire qu’en deux ou trois années Joachim ait composé tant d’écrits. Les anachronismes et les traces de supposition s’y retrouvent d’ailleurs fréquemment.

Il faut ranger dans la même classe les commentaires attribués à Joachim sur les prophéties de Merlin et de la sibylle Erythrée,

  1. F. 45 v., 58 v., 62.
  2. Parme, 1857.
  3. P. 102,122,176,389.
  4. Voir Bolland., Acta SS. Maii, t. VUU, p. 103,105. — Fabricius, Bibl. med. et inf. latin., t. IV, p. 40-41. — J. Wolf, Lectionum memorabilium et reconditarum centenarii XVI, t. Ier, p. 488 et suiv.