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L’ÉVANGILE ÉTERNEL.

de l’Italie. La vraie et définitive renaissance se prépare ; l’Italie fait une seconde fois pour l’humanité ce que la Grèce avait fait une première fois ; elle retrouve les règles du vrai et du beau ; elle devient la maîtresse de tout art, de toute science, l’éducatrice du genre humain.

Il n’y a pas de grand siècle sans mouvement religieux. La renaissance du XIIe et du XIIIe siècle eut ses tentatives de réforme. Le plus grand étonnement de ceux qui étudient de près l’histoire du moyen âge est que le protestantisme ne se soit pas produit trois cents ans plus tôt. Toutes les causes d’une révolution religieuse existaient au XIIIe siècle ; toutes furent étouffées. Il arriva au XIIIe siècle ce qui serait arrivé au XVIe si Luther eût été brûlé, si Charles-Quint eût exterminé les réformés, si l’inquisition eût réussi dans toute l’Europe comme elle réussit en Espagne et en Italie. Des aspirations vers une église spirituelle et un culte plus pur se faisaient jour de tous les côtés. L’Évangile éternel ne fut qu’une tentative entre plusieurs autres pour substituer un nouvel ordre religieux et social à celui qui était fondé sur l’autorité de l’église établie.

De même que la renaissance italienne ne put se faire sans un souffle venant du monde grec, les mouvemens religieux du XIIIe siècle furent aussi à beaucoup d’égards un effet de l’influence de l’église orientale. En ce qui concerne l’Évangile éternel, je ne doute pas qu’il n’en faille chercher l’origine dans l’église grecque. L’abbé Joachim, durant toute sa carrière, fut dans les rapports les plus intimes avec la Grèce. La Calabre, où il vécut et où son école se continua par une tradition à peine interrompue, était un pays à demi grec. Ses principaux disciples, les rédacteurs de sa légende, les personnages prophétiques avec lesquels on le met en rapport sont des Grecs[1]. Lui-même voyage en Grèce à plusieurs reprises, afin, comme on disait alors, de travailler à la réunion des deux églises. Cette réconciliation est donnée comme la préoccupation principale de tous ceux qui relèvent sa doctrine. Jean de Parme passa plusieurs années chez les Grecs, et, sur la fin de sa vie, voulut aller mourir parmi eux[2]. Toute l’école de l’Évangile éternel, depuis Joachim jusqu’à Télesphore de Cosence, à la fin du XIVe siècle, n’a qu’une voix pour proclamer que l’église orientale est supérieure à l’église latine, qu’elle est bien mieux préparée à la rénovation qui va s’accomplir, que c’est par le secours des Grecs que la réforme triomphera de l’église charnelle des Latins, que cette réforme ne sera pas autre chose qu’un retour à l’église spirituelle des Grecs. La Grèce est le refuge des fraticelli chassés d’Italie par Boni-

  1. Acta SS. Maii, t. VII, p. 91, etc.
  2. Salimbene, p. 148-149,297,319.