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L’ÉVANGILE ÉTERNEL.

quement à cause de la pâleur de leur teint : audierat enim eos solo pallore notare hœreticos, quasi quos pallere constaret, hœreticos esse certum esset[1].

On ne saurait se figurer, à moins d’avoir parcouru les documens originaux que nous venons de citer, l’importance que de telles sociétés secrètes et errantes avaient acquise dans le midi de la France. La corruption du clergé provoquait ces réactions pires encore que le mal. Il est remarquable, en effet, que chez les auteurs du temps qui nous ont réellement transmis l’écho de l’opinion publique, toutes les sympathies sont pour les béguins et les cathares : ceux-ci sont les saints et les purs, les prêtres orthodoxes au contraire sont les hérétiques[2]. Le même fait se produisait d’une manière non moins frappante en Lombardie. Milan surtout était devenu un centre redoutable d’hostilité contre l’église. Le catharisme y était ouvertement professé. En 1280, la béguine Guillelmina s’y fit passer pour le Saint-Esprit, et après sa mort il se fit des miracles sur son tombeau. Au milieu de l’extrême complication des luttes de ce temps, il est d’ailleurs très difficile de tracer toujours avec certitude les limites des différens partis. Les contraires faisaient souvent alliance : c’est ainsi que nous voyons les cathares ouvertement protégés par les gibelins, et le parti franciscain exalté, allié plus d’une fois à l’empereur contre le pape.

Mais ni ces coalitions trompeuses, ni aucun des stratagèmes par lesquels les sectaires cherchaient à donner le change à l’autorité, ne suffisaient pour les protéger. L’église romaine, secondée par un ordre autrement discipliné que celui de Saint-François, ne cessa de poursuivre les associations populaires qui sortaient de la règle d’Assise. D’une part, elle essayait de régulariser les parties inoffensives de ces foules dévotes ; de l’autre, elle faisait aux parties séditieuses la terrible guerre de l’immuration et du bûcher. Ce fut par milliers que les frères du tiers-ordre et les béguins furent brûlés dans le nord de l’Italie, dans le midi de la France, en Flandre et en Allemagne, tandis qu’ailleurs ils passaient pour des saints, et faisaient arriver leurs adeptes aux honneurs de la canonisation populaire. Même contradiction dans les textes historiques sur le caractère de leur vie et de leurs mœurs. Ici on les présente comme des oisifs, se plaisant dans le vagabondage et la mendicité, livrés aux plus ignobles dépravations ; là, comme des associations laborieuses, vivant de leur travail et dans une grande pureté de mœurs. Il est probable que, suivant les différens pays et selon les noms divers

  1. Gesta episcuporum Leodiensium, dans Martène et Durand, Ampliss. collectio, t. IV, col. 901.
  2. Voir C. Schmidt, Hist. des Cathares, t. Ier, p. 189.